Le mieux, c’est de commencer directement par le détail qui tue : les lunettes d’Eric Caravaca. L’acteur interprète un chômeur, oui, mais un chômeur intello. Ses amis sont ouvriers, retraités de l’usine ou encore actifs, mais de vrais représentants de la classe ouvrière, et à ce titre privés de lunettes. Le personnage d’Eric Caravaca, lui, porte des lunettes, puisque c’est à cela qu’on reconnaît un chômeur détenteur de trois licences, dixit le scénario. C’est peut-être un détail, mais il agace. Et dit bien en quoi le nouveau film de Lucas Belvaux échoue : dans l’équivalence trait pour trait entre sa mise en scène et ce qu’elle veut dire, pauvre égalité qui lisse tout, ôte toute nuance ou et toute âpreté. Paradoxe, pour un film qui fonce dans une rhétorique pas neuve, mais toujours aussi dure, et peut-être plus que jamais nécessaire : la raison du plus faible, c’est lorsque les ouvriers volent la recette du patron. C’est simple et efficace, une tournure d’esprit qui eut son heure de gloire et dont Lucas Belvaux tire un film forcément anachronique, mais conscient de l’être. Sujet central du tournant du siècle, la disparition de la classe ouvrière a fourni, fournit, fournira mille récits. Belvaux fait le choix de lui mêler une intrigue de polar. Bien vu. La récupération de la force de travail spoliée se fera donc par la violence, le hold-up, si possible sans effusion de sang. Mais la violence révolutionnaire a soif d’hémoglobine, et l’acte transgressif se retourne immanquablement contre les opprimés, dont l’un, ex-braqueur professionnel, va endosser le dôle christique du martyr de classe et mourir les armes à la main.

La Raison du plus faible était en compèt’ à Cannes cette année : pour quelle raison ? Belvaux en effet ne nous avait toutefois pas habitué à pareille indigence. Le film ressemble à Belvaux acteur : présent physiquement, mais incroyablement lourd, lisible, téléphoné quand il parle et surligne le moindre de ses effets. Selon la logique de l’échec qui en recouvre un autre, ses défenseurs diront : c’est logique de rater un film pareil puisque la classe ouvrière n’existe plus. Certes, mais on pourrait répondre aussi que le temps est venu de l’utopie, de la fable, de la légende, de l’aventure et des films d’Alain Guiraudie.