Le cinéma world à tendance antonionienne est une catégorie bien définie où cohabitent en toute harmonie des films venus de tous horizons. Leur point commun ? Des plans qui durent, un sens du cadre qui se montre un peu trop à chaque plan, une identité « modernité digest » puisant à outrance dans les silences ou le paysagisme. Dans le pire des cas, cela donne le cinémakhmalbaf (ou plus récemment le syndrome Nuri Bilge Ceylan). Le système, puisque c’en est un, est éprouvé au-delà des frontières et fait bien souvent passer un film argentin pour un film taiwanais, iranien, tamoul ou irlandais – une sorte d’Internationale du bon goût cinéphile. Mais il peut aussi provoquer quelques heureuses surprises : c’est par chance le cas de cette Petite fille de la terre noire, qui doit probablement plus au talent de son cinéaste, bien identifié (en ses terres), qu’aux conditions qui l’ont vu propulsé brutalement au rang de découverte pour festivals. L’histoire est simple, proche du conte (un mineur de fond tente d’élever ses deux enfants malgré le chômage), le style froid et direct, le rythme impassible. La maîtrise est visible dans chaque séquence, bien que quelque chose résiste en permanence à cette évidence : partout l’intention semble précéder, jusqu’à la ronger imperceptiblement, la reconnaissance tranquille d’un vrai talent de mise-en-scène.

Beau film, c’est entendu. Peu de cinéastes pourraient filmer avec une telle aisance le bonheur simple d’une chanson déployée le temps d’un travelling embarqué (la famille réunie dans la voiture) ou la recherche angoissée d’un enfant disparu (le fils attardé qui, du haut de sa cloche ne répond pas aux appels de sa petite soeur). Mais à force de se lover dans le plaisir de la retenue, le film se fige quelque peu, se rendant en permanence à son programme de clarté un peu scolaire. Inertie d’un scénario un peu trop écrit ? Croyance un peu fière en ses effets ? Probablement un peu des deux, mais surtout une volonté de bien faire qui finit par verrouiller la mise en scène et empêcher le récit de se laisser emporter vers la folie qu’appelle son mouvement d’enlisement, renvoyant dos à dos l’élan pur et l’intention d’auteur, l’effet et ses ficelles (le décorum du village minier, les métaphores un peu épaisses). Etrange paradoxe : le cinéma coréen est pulsionnel par essence, rendu plus que tout autre à l’empire des énergies et des circulations incontrôlées. N’en reste ici que la trace – une belle trace, mais comme naturalisée, neutralisée, montée en épingle. De là peut-être cette impression de collage entre cruauté et attention, une sorte de roman d’Hector Malot revu et corrigé par un cousin éloigné de Jia Zhangke (extraordinaire économie dans les plans documentaires au cœur de la mine). De la bonne ouvrage, c’est entendu.