99e film, rien que ça, de Im Kwon-taek. Il faut dire deux mots, d’abord, sur cette sortie tardive et plus que difficile. Sortie tardive : le film est prêt depuis longtemps (2003). Sortie difficile, à cause d’un imbroglio auquel on n’a rien compris, mêlant rumeur cannoise et internégatif si esquinté qu’il est impossible de tirer des copies, vendeur coréen pas en forme question finances. Sortie in extremis, le film a failli passer directement au rayon vidéo. Sortie riquiqui enfin : seule une copie, fragile, en sursis, circule en France, mère sans enfants puisque Pathé n’a pu la reproduire. Triste destin de la péloche, sa solitude la condamne à ne pas souffler, à s’abîmer toujours plus. Bref, dépêchez-vous de la voir.

Le film ? Pareil, in extremis. On sait que la longue et riche carrière de Im Kwon-taek, iceberg dont on ne connaît que la partie émergée, lui a fait traverser tous genres, toutes époques, tous cinémas. La Pègre, quant à lui, est un film noir, aux tons gris, amers. Un film de gangsters aussi, d’une incroyable sécheresse. Une ligne claire le traverse de part en part (l’ascension d’un gangster dans les années 60), mais elle est sans cesse hachée par de saisissantes ruptures. Au point que le dernier plan du film survient alors que rien ne semble résolu, et raccorde sur un écran noir, les lumières qui se rallument et vous qui croyez un instant que la pauvre bobine a rendu l’âme. Récit à la fois continu et pulsionnel. Drôle d’effet.

La narration de La Pègre se déroule sur une dizaine d’années : comment l’étudiant Tae-woong est devenu roi de la pègre, intermédiaire entre la CIA et l’industrie du bâtiment, après avoir été petite frappe, homme de main, petit boss, producteur de cinéma, cogneur toujours. La violence qui se distribue à coups de poing, tout au long du film Im Kwon-taek la transforme en de purs blocs d’énergie. Coups de poing, à tous le monde : à la femme enceinte, aux flics, aux rivaux, à la starlette de cinéma en plein tournage. Et coupures, partout : sur la peau, cicatrices, sur les bobines (déjà) d’un film produit brutalement par Tae-woong aux prises avec la censure -Tae-woong qui finit par balancer le film, fin de l’aventure cinéma.

La Pègre impressionne par cette manière d’avancer tête baissée, morceau après morceau, année après année, sans que rien ne semble pouvoir l’arrêter, comme son héros qui, lycéen, se fait planter un couteau dans la cuisse et poursuit son agresseur jusque chez lui pour lui faire retirer, en guise de vengeance. L’autre en vomit. Cinéma, affaire de gangsters, règne du coup de poing, des coupures nettes. Im Kwon-taek en sait long sur le sujet.