Le moyen-métrage français est pire encore que son cousin germain du court : il est le temple d’une armée de jeunes artistes à la dérive se rêvant cinéastes alors qu’ils seraient incapable de tenir un appareil photo à l’endroit. Par extension, le format est celui des rebelles : pas de place à la télé (hormis la case du 52 minutes), encore moins en salles, où les méchants distributeurs refusent catégoriquement de l’accueillir. Les éternels pionniers du moyen-métrage ont heureusement pour se convaincre de leur statut d’artistes maudits quelques illustres et géniaux vagabonds du cinéma auxquels se référer : Djibril Diop Mambéty (La Petite vendeuse de soleil, Le Franc) ou le mythique Bill Douglas par exemple. Jeune artiste français + rebelle se refusant à l’horrible formatages des durées officielles : Julien Samani est devenu du jour au lendemain de ceux là. En découvrant le monde très dur des pêcheurs irlandais de requins, entre bitures et excursions au grand large, ce fut le coup de foudre. Samani achète une caméra. Il devient cinéaste.

Le film accompagne les marins durant quelques jours, départ du port, pêche sauvage des requins (quelques tonnes de squales tués en série), solitude et silences qui en disent long, retour enfin au port sur fond de musique classique triée sur le volet. Quel est l’horizon de ce cinéma entre documentaire racoleur et afféteries de mauvais film d’auteur : ni le grand néo-réalisme maritime de quelques chefs-d’oeuvres italiens récents (Tornando a casa, L’Isola), ni le pamphlet (remplacez les requins par des bébés phoques ou des baleines), ni même la sécheresse implacable d’un constat mû par la blancheur faussement innocente de son objectivité. La confrontation avec la mort, la déshumanisation des gestes, le rituel ne sont ici tenus par aucun regard, comme si le sujet seul suffisait à faire événement. Idée lamentable selon laquelle le travail du documentariste se limiterait à trouver, au détour d’une rencontre, le sujet en or. Emballez c’est pesé : La Peau trouée est la fiction peinturlurée de prétention d’un rendez-vous qui tourne court.

Pour dire le niveau des enjeux posés ici, rappelons juste que le cinéaste, dans un élan visionnaire, avait choisi comme premier titre « Poissons » (sic). Il faut pleurer que des films aussi insignifiants arrivent ainsi, on ne sait trop comment (ou on préfère ne pas le savoir) dans des salles de cinéma. Il y a quatre minutes en trop dans La Peau trouée : celles là mêmes sans lesquelles le film aurait pu rentrer dans les cases télévisuelles comme reportage type Histoires naturelles ou Très chasse très pêche. Trop vulgaire. Celles-là même, en fait, qui lui valent aujourd’hui un clinquant statut de film de cinéma SDF, l’art et l’instinct de l’auteur primant évidemment sur tout le reste. Du jour au lendemain, Samani s’est improvisé cinéaste. A trouvé refuge dans de multiples festivals. Y a même récolté plusieurs prix. Bienvenue dans le monde enchanté du petit cinéma d’auteur français.