Malgré l’excellent écho critique de la presse lors de sa présentation au Festival de Cannes, force est d’avouer notre déception face au nouveau film de Manoel de Oliveira. Pas très exaltant, ni novateur, La Lettre s’inscrit dans l’œuvre du cinéaste portugais avec la morosité d’un énième film du « maître ». L’adaptation du célèbre roman de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, fait parfois figure de réussite (l’excellente idée de déplacer l’action à notre époque, en se débarrassant de la lourdeur d’une reconstitution historique). Le traitement de l’histoire, à mi-chemin entre l’insolite et le ridicule (le Mylène Farmer portugais Pedro Abrunhosa en duc de Nemours, et ses chansons mièvres qui accompagnent le film !), témoigne cependant d’un échec qu’on aurait aimé moins patent.

L’histoire de Mme de Clèves est déclinée en quelques scènes clés qui suivent l’évolution sentimentale de la jeune femme (son mariage sans passion, son coup de foudre pour Pedro Abrunhosa, ses doutes, et enfin, sa culpabilité à la mort de son mari). Ces scènes sont entrecoupées par des cartons qui résument, non sans un certain humour, le reste de l’action. Manoel de Oliveira choisit de raconter le destin tragique de son héroïne en suivant la ligne de conduite qu’elle s’impose, une ligne droite dont elle ne dérogera jamais, quitte à gâcher sa vie à force d’obédience têtue. Si la structure narrative du film se caractérise par sa simplicité, l’organisation interne des plans est, elle, construite avec minutie. Le travail de Manoel de Oliveira, dans sa volonté de faire se correspondre au plus près paroles et mouvements des personnages, révèle une précision frôlant la maniaquerie. Plus qu’une adaptation du roman de Mme de Lafayette, La Lettre prend alors la forme d’une chorégraphie des mots dont les personnages seraient les « danseurs-énonciateurs ». Parmi eux se distingue la lumineuse Chiara Mastroianni qui, grâce à la subtilité de son jeu, porte sans faillir le film sur ses épaules.

L’attention quasi infinitésimale de Oliveira pour les détails, les mots, et les mouvements trahit cependant les rouages d’une mécanique trop bien huilée, dans laquelle ne transpire finalement aucune chair. A travers l’exercice rigoriste du cinéaste ne transparaît bien trop souvent qu’une raideur guindée, et, à force, ennuyeuse. La présence du peu crédible Pedro Abruhnosa (particulièrement ringard, ce qui est un comble pour incarner le duc de Nemours, et parfaitement ridicule avec ses chaussures compensées) et la préciosité de la mise en scène finissent par étouffer le minimum de vraisemblance requis pour ce drame passionnel. L’histoire de Mme de Clèves y perd en intensité et se contente de suivre les mornes méandres du pur exercice de style.