A l’heure où Pixar se perd dans ses franchises, laissant leurs concurrentes de Dreamworks progresser avec rigueur dans le premier degré salutaire, l’invention permanente et le burlesque tous azimuts, voici que Warner dégaine son mastodonte. Rien de pire, on le sait, que « les films pour enfants qui plairont aussi aux adultes » ; La grande aventure Lego est de ceux-là.

Bienvenue dans un monde en plastique qui célèbre, en même temps qu’il fait mine de la dénoncer, la culture pop et colorée du monde des jouets et des chansons sympa. Vous trouverez ici du méta à tous les étages, des références à la pelle : Star Wars, les comics, Le Seigneur des anneaux, rien ne manque des franchises accaparées ces dernières années par la marque Lego, laquelle est ramenée ici à une vaste usine où chaque figurine est un ouvrier qualifié. Devant ce brouet de culture geek (qui ne fonctionne donc qu’à la reconnaissance), on se tient les côtes : non pas de rire, mais à force de coups de coude, venus mendier la complicité du spectateur. Tout ça avec, à la clé, un twist tellement neuneu qu’on croit rêver. Disons pour n’en pas trop dévoiler que ce film, comparé partout à Toy Story, en est l’exacte antithèse. Les toys de Pixar avaient leur propre histoire à raconter. S’ils étaient  fabriqués en série, ils gagnaient leur autonomie malgré leurs propriétaires, étaient eux-mêmes le bug dans la machine. Dans La grande aventure Lego, deux manières de jouer s’opposent. L’une est méthodique, adulte, concertée. L’autre n’est qu’évasion, c’et celle de l’enfant que chacun est censé retrouver en lui en regardant le film.

Mais le cynisme de l’entreprise est sans bornes. Comme la plupart des films (parfois très beaux) du genre, il est question ici d’un héros qui s’ignore, et va garantir la survie du monde libre. Soit Emmet, homme-lego ouvrier dégoulinant de bonne humeur dans un monde qui ne l’est pas moins, promis pourtant à la destruction Le vilain en est le président auto-élu, se fait appeler Business, voudrait que tout soit en ordre. Pour cela, il envisage d’utiliser de la super glu pour remettre chaque Lego à sa place. Emmett, homme sans qualités, aussi lisse que possible, est l’élu selon la prophétie (fausse bien sûr), qui à force de croire en lui, pourra sauver le monde des horribles empêcheurs de rêver en rond : il aura compris mieux que les autres le pouvoir de la main tendue, et ramènera enfin le vilain à la raison, pour permettre à chacun de se raconter sa propre histoire. Or c’est un mode d’emploi qui va lui servir de Bible (Emmett fait mine de retourner celui-ci à son profit), pour défaire l’ordre réglé du monde (mais n’est-ce pas, après tout, ce qu’on nomme « société » ?). Sous ses dehors de party débridée et d’ode à la créativité, La grande aventure Lego raconte ainsi une histoire hyper balisée, reprenant les mêmes motifs que partout ailleurs. L’imaginaire enfantin n’y réinvente en fait rien, et reproduit plutôt tout ce qu’il a ingurgité au moyen d’une collusion d’univers qui, pour être différents et tenter de se mélanger, n’en sont pas moins le simple leurre de possibilités infinies : on ne construit ici que dans les limites d’un imaginaire clé en main. Chaque personnage garde sa personnalité référencée, chaque lieu visité confirme un même schématisme : la ville, le western, la SF, pour les garçons ; l’univers girly des arcs-en-ciel et des animaux pour les filles.

Le second degré, quand il n’est mobilisé que pour son pouvoir de séduction, n’a jamais donné de bons films, et c’est grâce au premier que Pixar a pu se hisser si haut il y a quelques années. Surtout, il faudrait être un peu étourdi pour oublier que le marketing trouve là, depuis longtemps déjà, son outil le plus efficace, et pour ne pas reconnaître dans ce film ce qu’il assume d’être sans le moindre complexe : un placement de produit déguisé en fiction awesome d’une heure quarante.