Seul et unique artisan d’un authentique cinéma-bis français, Jean Rollin poursuit une oeuvre inégale commencée il y a plus de 30 ans. Bien que marqué par un retour vers le style gothique emprunt de féerie macabre de l’épouvante des années 60, La Fiancée de Dracula propose un tournant dans la filmographie du réalisateur : celui d’une mise à distance qui, bien que très consciente, se départit de tout cynisme pour ouvrir sur une dimension réjouissante et libératrice. Le pari du film (réaliser un film Z aujourd’hui exactement de la même manière qu’il y a 20 ans) est tenu grâce à l’équilibre trouvé entre des moyens archi-désuets -interprétation catastrophique, décors limités au strict minimum- et une bonhomie de tous les instants qui aère le récit et flirte entre grotesque et sublime par un art consommé du dérapage fabuleux (un sceptre religieux qui se transforme en briquet-fantaisie).

La Fille de Dracula n’hésite pas à mêler dialogues littéraires sortis d’une obscure bibliothèque de vieux fou et morceaux de ridicule absolu (Annette, sortie d’Hélène et les garçons, nue et dévorant un nouveau-né), références au surréalisme et, simultanément, retour au burlesque improvisé d’une troupe de théâtre amateur (Dracula, bellâtre minaudant, qui se prend les pieds dans un fil en sortant d’une horloge). Peu de choses se retiennent d’un tel film, tout s’y échappe et s’y évanouit en une multitude de visions déconnectées de tout enjeu dramatique. La seule obsession de Rollin est de filmer juste au bon moment, de capter la part de poésie qui, soudainement, s’échappera du grand cirque d’une mise en scène vue comme pur dispositif forain (chaque décor est une sorte de bric à brac d’objets trouvés ici ou là et sortis de greniers avoisinants).

Il y a du Mocky chez Rollin, lorsque le réel, filmé avec un souci de proximité vénéneuse, se pare d’une étrangeté intime et pénétrante (la plage de Dieppe comme amphithéâtre final), mais aussi du Jess Franco, lorsque les détraquements d’une interprétation de caribous patraques (le Professeur et son assistant, dignes d’une parodie de Sherlock Holmes par les Charlots) oscillent entre fumisme et sentiment de liberté totale. Les cadres nocturnes en extérieurs, emplis de brume, de ruines et d’étoiles, font passer le film du côté de la beauté pure : s’y côtoient anges en nuisette et violoncellistes sortis d’on ne sait où, nains répondant au nom de Triboulet, Vénus blondes et jouisseuses, vampires boiteux, nonnes fumeuses de pipes et jeunes premiers au regard triste. La lenteur, ici, dure et ne lasse pas, envoûte à mesure qu’elle recouvre le récit d’une chape de velours, hypnotise et fascine lorsque que tout semblait, au bout d’à peine deux séquences, condamné à l’oubli. Le cinéma de Jean Rollin marche sur le vide à la manière d’un canot titubant pris dans le feu des rêves. Il reste d’un tel film un souvenir scintillant une persistance diffuse, comme la trace d’un songe lointain et jamais vraiment éteint.