Lieu fondé en 1976, en Belgique, La Devinière a accueilli une vingtaine d’enfants retardés mentaux, déclarés inaptes à suivre les traitements psychiatriques. Presque 25 ans plus tard, ce refuge existe toujours : c’est un bâtiment décati au confort rudimentaire, où les pensionnaires sont totalement libres de vivre pleinement leur folie sans aucune contrainte pédagogique ou médicale. Benoît Dervaux s’est immiscé pendant près d’un an dans la vie de cette petite communauté. Il a longuement filmé les « enfants », comme les appelle Michel Hock, le fondateur du lieu. Son film, porté par le rythme de vie des occupants, nous fait approcher leur existence, qu’elle soit heureuse ou tragique. Pour certains, comme Dominique, un garçon totalement muet et rétracté, la coupure avec le monde demeure. Pour d’autres comme Jean-Claude, la différence est vécue de manière très consciente. L’harmonie d’une vie collective n’a ici rien d’utopique : sans être un lieu de réclusion et de dissimulation de la folie, La Devinière est un asile hors des règles sociales, à l’abri du regard qui juge et évalue les capacités de chacun. La folie d’Eric (bricoleur et électricien doué) et celle de Jean-Claude, qui passe son temps à soulever des tonnes de ferraille, y cohabitent sans difficulté.

La Devinière est en grande partie un film centré sur le regard : regard ingénu, réjoui ou fermé des occupants. Et surtout celui de Michel, qui surveille les activités de ses protégés sans jamais chercher à intervenir dans leur folie, les laissant s’épanouir dans leur anormalité supposée. La beauté du film tient dans cette latitude que laisse le regard de Michel -et avec lui celui de Benoît Dervaux- à l’expression de chacun : jamais d’explication médicale, aucune allusion aux problèmes psychiatriques. Seuls dominent ici le constat et l’acceptation d’une humanité différente. Jean-Claude devient peu à peu le personnage central : il s’exprime dans un langage brut et poétique, fait preuve d’humour et de lucidité. Il est aussi le seul personnage dont le « vécu » soit vraiment approché. Sa rencontre avec sa mère, sous l’œil bienveillant de Michel, devient le temps fort du film. Mais ce moment où Dervaux sort du cadre strict de La Devinière est moins convaincant, car un montage brouillon et impudique fait que le film perd l’équilibre et la distance maintenus jusqu’ici. La réalisation, qui s’en tenait à un point de vue intégré au groupe des « enfants », alimente sans beaucoup de rigueur une curiosité mal justifiée. Pourtant, l’extraordinaire vitalité de Jean-Claude, doux dingue au regard sombre et inquiet, la présence discrète mais attentive de Michel, illuminent le film. Par eux, La Devinière est un beau témoignage, qui dépasse la notion de « cas » pour décrire des êtres aux prises avec la vie.