Sur l’affiche du premier long-métrage des frères Foenkinos (David, fameux auteur de best-sellers ; Stéphane, fameux directeur de casting), la gorge svelte d’Audrey Tautou laisse attendre le spectacle courtois, le madrigal raffiné. Le titre, lui, repris du roman fameux de David, est lancé au spectateur comme un programme. Voyons voir.

Une jeune femme rencontre un jeune homme, un baiser s’échange et c’est l’amour qui s’invite, bientôt la demande en mariage – délicate, puisque formulée à genoux. Tout va bien, et délicatement (la fille trouve un travail en entreprise, gravit les échelons) jusqu’au drame, impitoyable : le garçon meurt. Inconsolable, la jeune veuve s’abrutit de travail. Plus d’une demi-heure a déjà passé, et une demi-heure c’est long quand il n’y a, à ce point, rien à sauver (sauf à la limite Audrey Tautou, qui passe assez habilement de l’accent titi du début – sa marque, décidément – au ton hautain de la chef de groupe), ni du côté du récit (effroyablement indigent), ni du côté du style (qui s’entend, pour les frères comme un pur exercice publicitaire). Le suspens, certes pas insoutenable, retombe donc : cinématographiquement la star des librairies n’a rien à dire. Et le peu qu’il dit, il le dit comme dans ses livres, pauvrement – c’est une collection de lieux communs. Reste François Damiens, attraction du film qui lui offrait une perspective très française de contre-emploi. Et il est très bien, disons-le, parfois admirable de finesse et de retenue. Banal employé, son personnage frappe un jour à la porte de sa supérieure (Tautou, donc) et sans réfléchir celle-ci lui donne un baiser fougueux. Une nouvelle histoire commence, forcément moins nulle que la première puisque cette fois, au moins, le couple est dépareillé, esthétiquement et socialement.

Mais la vraie bonne idée du film (même si arrivés à ce stade, l’inspiration des Foenkinos persiste formellement à alterner pub et téléfilm), c’est de changer d’aiguillage à mi-parcours, d’inverser les pôles en faisant surgir un personnage de nulle part pour se remettre tout entier à lui. D’autant que ledit personnage est assez beau, confus mais pas burlesque, amoureux et constamment sonné par ses propres émotions. Le jeu de Damiens consiste à se faire bloc de nerf, à ponctuellement dénouer ce bloc avant de le renouer aussitôt, par humilité, malaise ou prudence. Si son oeil s’égare vers elle, c’est une seconde. Un mot d’amour, Damiens part en courant. Ses célèbres mimiques de fanfaron s’ébauchent, fugaces et discrètes, au hasard d’une émotion forte, et prennent un tour dramatique vraiment saisissant. Le film retrouve donc à son contact une petite santé : sa liaison amoureuse avec Tautou, faite de légers décalages, de maladresses, d’oublis, d’absences et de réapparitions brusques, travaille au moins un peu l’espace et le temps du film, le tire parfois vers un certain fantastique (il y a cette scène, notamment : pendant d’un pot d’anniversaire dans l’entreprise, les deux amoureux s’isolent quelques secondes dans un bureau. Lorsqu’ils en ressortent, tout le monde est parti, la lumière est éteinte, comme si des heures s’étaient écoulées). Si ces petits paradoxes ne masquent jamais vraiment la pauvreté de l’univers de Foenkinos, ils permettent au moins d’entrevoir un peu de cette délicatesse qui nous en imposait tellement, et qu’en somme on aura si peu vue.