On pensait ne jamais le rencontrer ce fameux « objet gentil » dont parlait le croisé anti-critiques Patrice Leconte. Ou plutôt, on n’imaginait pas qu’il puisse exister. Et puis, voici qu’apparaît sur nos écrans l’exception qui confirme la règle : La Coupe, le premier film réalisé par un Tibétain, un véritable lama de surcroît. On ne peut pas dire que ce film-là, presque surgi de nulle part, prenne la place d’un autre. Bien au contraire, le seul fait d’exister lui confère une aura presque magique, un arrière-goût de miracle. Malgré ses faiblesses, brûler ce film paraît inimaginable. Non pas qu’il s’agisse de protéger abusivement un cinéma fragilisé par la situation politique d’un pays non reconnu comme tel, mais la dose de sagesse, de candeur et de tolérance que contient La Coupe sape toute velléité hostile. Et peut-être est-ce là la plus grande leçon à tirer de cette expérience zen qui observe l’agitation du monde avec un recul sidérant.

Dans un temple tibétain exilé en Inde, où viennent se réfugier des enfants envoyés par leurs familles afin de recevoir une éducation bouddhiste, se joue rien de moins que l’avenir d’une culture. Un facteur extérieur, la Coupe du monde de football, joue le rôle de perturbateur. Un petit groupe de jeunes moines tient à regarder la Coupe du monde à n’importe quel prix, quitte à trahir certains principes. Cet attrait pour un objet étranger à leur monde trahit une évolution plus générale. Le cinéaste observe avec pertinence la perméabilité de sa culture, le passage d’une société à une autre : la discipline est moins rigoureuse, l’attention moins soutenue. Le changement paraît si inéluctable que la confrontation entre les générations n’a même pas lieu. Malgré quelques tentatives de réprimande agissant comme une sorte de ressort dramatique, les aînés, chargés de perpétuer la tradition, se plient à cette exigence avec résignation. La télévision entre dans le temple et la finale de la Coupe du monde rassemble tout le monde.

En fait, leur sérénité face à certains bouleversements s’explique par un esprit humaniste difficile à partager pour un Occidental. Les moines découvrent un intrus qui s’introduit dans leur société (le football), et, au lieu de repousser ce corps étranger, ils l’observent, certes avec circonspection, mais avec bienveillance. Cette manière remarquable d’accepter l’altérité surprend profondément. On aurait presque envie de les mettre en garde. Tout le monde n’agit pas de même.