Toute la misère du cinéma hollywoodien d’aujourd’hui tient dans le seul fait de prendre le spectateur pour une andouille. Le respect du spectateur lui est devenu étranger, comme si commerce et humanité ne pouvaient faire bon ménage. Or c’était peut-être aussi là une des grandes qualité du cinéma classique américain que d’avoir souvent démontrer le contraire : si le cinéma était du spectacle, il ne l’était jamais au détriment de l’intelligence. En un mot, le cinéma était humain avant d’être produit.
Pourquoi aborder cette question à propos de la ressortie en salle du film de Hawks, Big Sky ? Peut-être justement parce que c’est aussi de cela que nous parle le film. Deux chasseurs se rencontrent et partent à la recherche de l’oncle du plus jeune, dans une ville du grand Nord. L’ayant bientôt retrouvé, ils partent en expédition sur les territoires des indiens Black- feet avec qui nul n’a encore réussi à établir de relation commerciale. Mais pour y parvenir, ils ont avec eux un atout de taille : la fille d’un des Chefs, capturée par les Indien Crow et que l’oncle à délivrée. Ils devront affronter la concurrence de la Compagnie de commerce qui essaye d’empêcher par tous les moyens possibles leur entreprise.
Ainsi se dessine tout au long du film un parcours dont la conclusion morale serait que les liens commerciaux, pour ne pas être inhumain, ne pas être une simple exploitation, doivent passer par une reconnaissance mutuelle de ceux qui s’y livrent des partis, par des liens amicaux, échange dans tous les sens du terme. Et pour ça, il faut être prêt à prendre le temps nécessaire pour que chacun ai la conviction de la valeur humaine de l’autre. Et si finalement les hommes de la Compagnie paraissent odieux, ce n’est pas tant qu’ils montrent le visage brut d’un commerce inhumain, que parce qu’ils refusent l’humanité qui y est possible.

A travers l’histoire d’amitié entre les deux hommes, qui finalement n’est pas l’essentiel du film, c’est surtout une remarquable leçon de tolérance, où le savoir-vivre est avant tout compréhension envers son prochain, que livre Hawks. Chacun a un droit égal à la parole, chacun a la possibilité de se faire accepter par les autres, car seuls les actes ont droit de cité. Cette égalité de principe régit aussi le traitement scénique du film : aucune séquence qui par son importance dramatique prenne le pas sur une autre. On se rappellera longtemps de cette là où, dans le saloon, tout juste arrivés en ville, nos deux compères entonneront en chœur, appuyés sur le bar « Oh whisky leave me alone,oh whisky leave me alone,oh whisky leave me alone, remember I must go home ». Beau plaidoyer contre l’alcoolisme.

Le grand ciel étoilé au-dessus de leur tête, la loi morale en eux, les héros de Hawks traverseront fleuve et montagnes et, quand face à l’amour que la jeune indienne ne tarde pas à éveiller en eux, ils se trouvent séparés, leur respect de l’autre les préservera de tout jugement hâtif. La proximité que Hawks installe entre nous et ses personnages, nous a soudain transportée ailleurs que là où nous avons coutume d’être. Du lointain qu’ils étaient, ils nous interpellent comme des êtres proches. La captive aux yeux clairs nous concerne tous.