Il est beaucoup question d’ombres et d’immobilité dans le premier long métrage d’Alain Raoust, auteur jusqu’à présent de courts et moyens métrages remarqués. Pourquoi, même immobile, est-on suivi par son ombre ? Telle est la question cachée du film, cachée derrière le visage d’Anne Verrier, 25 ans, qui vient de terminer une année de liberté conditionnelle après son incarcération pour homicide. Parfaitement « réintégrée » (selon le juge), elle dispose d’un travail et de parents qui s’efforcent d’être compréhensifs et proches d’elle. Mais dès qu’elle est « libre », Anne s’aperçoit très vite que cette réintégration est illusoire tant qu’elle-même n’a pas réintégré son propre corps et ses propres sentiments. Après un adieu symbolique à tout ce qui la presse de poursuivre cette réintégration consensuelle, elle entreprend un long voyage jusqu’au face-à-face avec Jacques, le père de celui qu’elle a tué (c’est un peu la situation symétriquement inverse de celle du Fils des frères Dardenne -en salles le 23 octobre 2002).

Le personnage d’Anne, avec son corps fermé, opaque, joue résolument contre la fiction, petite île inquiète et désireuse de se soustraire à tout (la justice, le travail, la famille) et à tous (le juge, le patron, la mère) jusqu’au point zéro d’où elle pourra désormais additionner (les expériences, les rencontres, les ouvertures). Ce trajet en pente douce est filmé dans l’effacement mutique par le cinéaste, qui ne cherche les points d’ancrage avec le réel que pour mieux les faire vaciller, clignoter (Anne qui allume puis éteint sa lampe à répétition, jouant le noir contre la lumière). L’aridité silencieuse du film, son insistance (plans longs, inactifs, centrés sur l’immobilité des expressions), ne relève pas de la coquetterie auteurisante. A la surface du corps apparemment figé d’Anne affleure un élan dont La Cage raconte l’histoire : il n’est pas nécessaire de sauter par-dessus son ombre (son passé, son crime) de peur qu’elle ne nous rattrape et nous étouffe. Il vaut mieux ne pas rester immobile pour la tenir loin de soi. Tant que l’on ne bouge pas, l’ombre -des barreaux de la prison, de la cage- court trop vite. D’où la rencontre entre Anne et Jacques, le seul capable de la réintégrer dans son propre corps, de la remettre à sa place. C’est lui, dévoré par la colère, qui tirera des coups de feu en l’air, comme un starter donne le départ d’une course. Et pendant que Anne s’en va à travers la montagne, Jacques, sur la place du village, joue avec son ombre. Pourquoi, même immobile, est-on suivi par son ombre ? La solution, celle du Voyageur et son ombre, est justement ailleurs, dans le mouvement, le départ, la recherche du grand soleil de midi qui précise les contours de cette ombre, nous apprend à jouer avec, à en faire une amie.