D’un bout à l’autre de cette pleurnicherie vulgaire, l’auteur du pourtant respectable Gilbert Grape tente avec un acharnement malsain de nous arracher de force des sentiments complaisants au moyen d’un chantage affectif douteux. Lasse Hallström traque sans cesse la misère et le malheur pour les exhiber sans aucune pudeur. Transformés en images marchandises, il les détourne à son propre profit, pour sa gloire cinématographique personnelle, sans témoigner le moindre respect aux personnages qui en sont à l’origine. Car le cinéaste ne s’investit pas dans son sujet, il reste précautionneusement à distance, mise sur l’attendrissement en pointant avec un air faussement compatissant son gros doigt sur les plaies des autres, mais refuse de partager leur souffrance réelle en y plongeant les mains. Un travelling honteux sur des visages d’enfants en train de sourire, valise à la main pour tenter de se faire adopter (un peu comme les animaux dans les vitrines des magasins), use d’un vrai sentiment de désarroi qui crée une imagerie séductrice proprement dégueulasse et indigne. Avortement, inceste, racisme, promiscuité du travail saisonnier prendront successivement le relais de ces misérables pour alimenter un racolage sans cohérence, que l’auteur tente de justifier par l’illustration de la césure bien pensante entre L’Oeuvre de Dieu et La Part du diable contenue dans le titre français.

Homer Wells est né dans un orphelinat tenu par un docteur marginal et dévoué. Une fois adulte, plutôt que prendre sa suite et concilier accueil des enfants et avortements clandestins, Homer refuse de pratiquer de tels actes et préfère partir explorer le monde pour découvrir sa propre personnalité. Au cours de son périple, il s’apercevra qu’il est parfois nécessaire de transgresser les règles pour faire le bien. Parfait. Mais ce discours d’apparence audacieux, expression de l’ambiguïté de la nature humaine, assume mal sa position. Car la défense de l’avortement se fait tout de même sous le haut patronage de Dieu. Homer libère du bout des doigts une jeune femme violée par son père. En fait, le problème se situe justement dans cette croyance qui veut que le bien et le mal soient deux éléments séparés, et du besoin permanent de se justifier de ses actes vis-à-vis d’une autorité prétendument immaculée qui dicterait les règles. Là encore, Lasse Hallström prend bien soin d’observer cette dichotomie de loin et à grand renfort de plans solennels hautement respectueux. En s’approchant d’un peu plus près, le cinéaste se serait peut-être aperçu que le point de vue n’est pas forcément aussi net.