Se peut-il qu’il y ait un dieu cinéphile qui en ait après l’oeuvre de Terry Gilliam ? Après le fiasco total des Aventures du Baron de Munchausen (dix ans de travail pour six jours de tournage) ou de L’Homme qui tua Don Quichotte (le déluge, la hernie discale de Jean Rochefort, les avions de chasse pendant les prises de son, etc.) et le making-of qui en découla (Lost in la Mancha), la malédiction s’est de nouveau abattue sur l’ex-monthy-python. En plein milieu du tournage de L’Imaginarium du docteur Parnassus, l’acteur principal et ex-Joker adulé (The Dark Knight) Heath Ledger est mort d’une overdose médicamenteuse. Pas découragé pour autant, Gilliam a eu cette très belle idée (et c’est bien la seule du film) de ne pas remplacer Ledger par un seul acteur mais par trois (Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell).

Story : Le docteur Parnassus et sa troupe voyagent de ville en ville dans une roulotte d’un autre temps et proposent aux chalands de traverser un miroir magique, porte grande ouverte sur leur monde intérieur. Entre du Tim Burton cru Charlie et la chocolaterie et du sous-Fellini, L’Imaginarium du Docteur Parnassus est un film plutôt laid et salement rococo. A le voir creuser de manière aussi pauvre, la thématique du miroir (après Cocteau, Carpenter et Burton, il fallait du lourd), on a seulement l’impression que Gilliam a découvert Lewis Carroll en 2007 et criant au youpi, avait l’envie d’en faire un joli clip adolescent. Mais si la mort de Ledger a apporté quelque chose d’assez inédit au film (un kaléidoscope conceptuel de l’ordre de I’m not there), elle en a aussi probablement traumatisé la structure. Le film en est bancal, presque malade, grand fatras d’imagerie Disney sous acide surréaliste (le rêve dans Dumbo) et au final, totalement repoussant.

Ne retenons donc que ce jeu des mille visages, ce travail posthume-moderne du masque qu’opère le réalisateur de L’Armée des douze singes sur le cadavre de son défunt comédien à la face presque inconnue. En traversant le miroir, Heath Ledger prend les traits de Depp, Law et Farrell, comme si leur corps était un prolongement naturel, morphing en direct live et alternative infinie de rôles (en un film, Ledger aura tourné ses quatre derniers rôles). Mais c’est aussi une des tendances fâcheuses de Gilliam, que de chercher, à défaut de les trouver dans ses propres films, des légendes dans les coulisses et le work-in-progress perpétuel. Quand il tournait Don Quichotte, le réalisateur se la jouait Orson Welles (pendant le tournage de son propre Don Quichotte inachevé) et voilà qu’avec Tony, ce personnage à quatre facettes, il exagère la légende d’un acteur mort prématurément, James Dean style. Terry Gilliam, ce serait en fait davantage un génial pro de la communication de crise qu’un bon cinéaste.