Carlotta Films poursuit son excellent travail d’édition autour de Pasolini. Après Salò et La Trilogie de la vie, et en même temps qu’un très beau coffret consacré aux oeuvres des années 60 -Accatone, La Ricotta, Oedipe roi, Des oiseaux petits et grands…-, comprenant également un morceau de la collection « Cinéma, de notre temps » (Pasolini l’enragé de Jean-André Fieschi), voici le tour de L’Evangile selon St Matthieu qui, du point de vue de l’expression visuelle, demeure avec Théorème le film le plus puissant du cinéaste. Présentée dans un nouveau master restauré qui restitue à merveille la rêche et poudreuse matière des lieux arpentés par le Christ, cette illustration des Ecritures, très bien reçue par les catholiques à l’époque, a pâti par la suite de la personnalité sulfureuse de son auteur, si bien que se sont multipliées les lectures guidées par le désir d’y voir à tout prix de la subversion (Jésus en figure exclusivement marxiste par exemple). C’est oublier la complexité du rapport de Pasolini au christianisme. Bien qu’il se soit défendu d’être un catholique refoulé, déclarant avoir perdu la foi à 15 ans, la religiosité a perduré en lui, selon d’autres modes et, comme il le dit lui-même, d’autres fantasmes. Son « athéisme » ne signifie en aucune façon le rejet de la transcendance et du sacré, et on pourrait lui attribuer la formule d’un autre sans Dieu magnifique, Buñuel : « Je suis athée, grâce à Dieu ». Cette ambiguïté fait toute la beauté de cette Evangile extrêmement fidèle et nourrie d’une sorte de ferveur sèche, loin des reconstitutions en carton-pâte en vogue à Hollywood (violemment tournées en dérision par Pasolini dans l’extraordinaire La Ricotta, qui lui valût une condamnation pour « outrage à la religion d’état » deux ans auparavant). Pasolini y pratique un style dénué de toute solennité, et en même temps foisonnant à l’extrême -il le nomme lui-même « magma »- avec ses longues séquences en caméra portée, ses zooms, ses variations dans l’échelle des plans, son découpage dynamique. Cette manière d’être au plus près des êtres -les pouilleux, les soldats, les Pharisiens, le Christ lui-même : Pasolini, cinéaste du visage par excellence- et de saisir avec emportement la réalité terreuse de son récit fait de cette vie de Jésus un film absolument et radicalement populaire.

Les bonus du DVD consistent en trois entretiens, avec Hervé Joubert-Laurencin qui fait le point sur le rapport de Pasolini au catholicisme, avec Virgilio Fantuzzi, un « vrai curé », qui devint l’ami du cinéaste après avoir vu le film et l’avoir entendu répondre négativement à la question « êtes-vous croyant ? », et Enrique Irazoqui, cet étudiant catalan qui prêta son visage et sa voix au plus beau Christ de l’histoire du cinéma.