Les sorties DVD Carlotta Films sont presque toujours événementielles, avec d’un côté un travail d’exhumation inestimable (oeuvres rares ou inédites), de l’autre un soin inouï porté aux bonus. Cela n’a jamais été si vrai qu’avec L’Aurore, chef-d’oeuvre de Murnau, diffusé une seule fois à la télévision (cinéma de minuit) après des années d’invisibilité. Première expérience américaine de Murnau, L’Aurore est l’un des quatre ou cinq films les plus importants de l’histoire du cinéma : un socle sur lequel tout revient inéluctablement se poser. Mais aussi un aboutissement du cinéma muet dans lequel est contenue sa fin. Première belle idée de l’édition : proposer justement les restes (photos, intertitres, dessins) du film suivant de Murnau (Four devils, 1928, intégralement perdu), et dont l’échec coïncida avec l’essor du parlant. Hormis les fulgurances de City girl (1930) ou Tabou (1931), L’Aurore témoigne, par son plus noble représentant, d’un état terminal d’incandescence du muet, juste avant la chute.

A partir d’une histoire très banale (un fermier voit son couple menacé par une vamp venue de la ville), Murnau étale un luxe de procédés confinant à la perfection : sublime photographie naturaliste et sensualiste, ligne claire du récit, fondus et surimpressions d’une incroyable sophistication, mouvements d’appareil sidérants. Tout cela est connu, et justifierait à lui-seul le caractère indispensable de ce DVD (version restaurée avec, au choix, partition musicale ancienne ou contemporaine -mais rien ne vaut la coupure du son pour se laisser complètement happer par la folie des images). Le travail éditorial ne s’arrête pourtant pas là. Enorme surprise, des rushes et prises alternatives figurent en bonus. Parmi eux, notamment, une version non retenue du fameux plan-séquence des retrouvailles sous la lune, et l’intégralité de la scène du départ en tramway vers la ville, vue en amont du montage final. Autant de trésors, soigneusement explicités et présentés avec force anecdotes (exemple : dans la scène de l’église, les rayons de lumières ont été peint en arrière-plan), qui enrichissent merveilleusement la vision du film.

Comme si cela ne suffisait pas, un documentaire de 42 minutes, réalisé par Jean Douchet, complète les bonus. A lui-seul, ce bonus fait figure de chef-d’oeuvre, d’abord parce que Douchet, qu’on prenne ou non son analyse comme un délire interprétatif, garde toujours le film (scènes, plans, éléments et figures) comme ultimes et implacables pièces à conviction de son travail. D’où un bonus d’un genre assez nouveau : non pas un documentaire hors-film ou un mélange de scènes et d’interventions extérieures, mais le film lui-même complètement réorganisé, sur lequel se plaque un texte lu à plusieurs voix. L’approche thématique et symboliste (vampirisme, fantastique, dualite ville / campagne, sexe / amour, nuit / jour, etc) et esthétique (à gauche le mal, à droite le bien) s’enclenche dans un mouvement qui, plus que d’extraire du film une sève, le remet concrètement en scène sous nos yeux. Pour tout cela, cette édition de L’Aurore, le plus simple et le plus beau des films de Murnau, s’impose comme le socle de toute DVDthèque.