Ca commence par de longs travellings comme le cinéma nous en a déjà tant montré. Une vue subjective d’une voiture quittant une autoroute et parcourant des routes de campagne, nous mènes de notre confortable fauteuil, au cœur de la fable. Histoire du retour au pays d’un enfant prodigue, qu’on imagine facilement être Jacques Nolot lui-même tant cette fiction se cache peu du vécu qu’elle véhicule. Retrouvailles avec une mère malade, qui ne tardera pas à mourir, et le reste de la famille. Cette mort marque le film de son empreinte et c’est autour d’elle qu’il s’organise. L’arrivée de « Jacquinou » au pays natal est peuplé de souvenir vagues, justes effleurés mais qui promettent leur part de secrets. Puis arrive cette mort attendue et le film prend alors toute son ampleur ; il révèle au spectateur son secret, celui d’une proximité et d’un amour de ce qu’il dévoile.

Jacques Nolot a fait le bon choix en décidant de nous montrer ce vécu de la mort. Fuyant une fausse pudeur qui n’est après tout que la peur de l’homme civilisé pour la mort, que depuis longtemps il relègue à des lieux compartimentés (hôpitaux, maisons de repos…), Nolot témoigne de cette proximité du monde rural, duquel chaque jour nous éloigne un peu plus, avec la mort. Il y a dans ce trépas quelque chose de beau et de simple. Et la pudeur est finalement plutôt dans le fait de s’attacher à décrire ces moments rares (au cinéma) que de les reléguer au non-dit, au non-vu.

Mais pour partager ces instants, il fallait sentir le rôle essentiel que joue le temps dans cet ultime passage de la vie à la mort. Cela Nolot l’a sentie et le regard attentif et posé que la caméra pose sur les gens et les choses en témoigne. Pour comprendre, pour ne plus avoir peur (de la mort ou des « autres ») il faut prendre son temps, savoir être attentif, être prêt à laisser le silence s’installer. D’où ces dialogues fragmentaires, refusant d’expliquer tout à tout prix, dans la première partie du film.
Puis tout se bouscule. La mort libère les paroles, qui fusent dans tous sens, les secrets de famille, les vieilles rancœurs…Là, on pourrait reprocher au film de verser dans un certain conventionnalisme. Mais ce serait alors confondre la convention et l’habituel du vécu. On ne peut que se féliciter que Jacques Nolot ne tombe pas dans le piège de l’original. Il préfère s’en tenir à ce qu’il sait sans doute de tout cela. Il ne s’agit pas non plus de réalisme : seulement de parler, de filmer ce que l’on connaît. Et si cette seconde partie du film contraste par son agitation, ses bavardages et ragots intempestifs de la première, c’est que la situation le requiert. Encore une fois la mise en scène reste au service de ce qu’elle montre plutôt que de sacrifier à une « unité idéale ».

L’Arrière pays est de ces films de plus en plus rares qui montrent des choses essentielles (car sur le point d’être oubliées), et qui les montre avec une grande finesse. Le respect de ce qui est montré passe avant la dramaturgie ; c’est ainsi que l’homosexualité du personnage de Jacques nous est révélée au détour d’une phrase et qu’elle vient s’inscrire dans le corps du film. Dans l’attention qu’il porte à ses personnages, à leurs paroles, à leurs gestes -et à travers cet indélébile accent du sud- on retrouve presque, 60 ans plus tard, le Renoir de Toni, dans un monde campagnard sur le point de disparaître. Il règne en tous cas dans le film une même atmosphère de colère et d’amour, de joie et de fureur qui animait cette communauté rurale.

Ce qui fait la valeur de L’Arrière pays c’est son attachement à perpétuer au cinéma une tradition orale spécifiquement liée à ce milieu rurale et à le faire sans complaisance (comme chez Guédigian par exemple). Le film devient le témoin du chant du signe d’une communauté condamné bientôt à disparaître et, si Nolot refuse de s’apitoyer sur cet état de fait, il montre en tous cas ce que nous allons y perdre.
On regrettera d’autant plus la fin du film -résurgence d’un folklore homo refoulé avec toréadors et rugbymen musclés- qu’elle se place en dehors de ce qui, pendant 1h20 nous a été montré. A part ça, on rendra grâce à Jacques Nolot de nous faire partager ces moments rares.