Blessée au doigt (devinez lequel), une belle ouvrière quitte son travail. De langoureux coups de blues en dérive poétique sur une zone portuaire, elle décroche un boulot dans un étrange laboratoire de cristallisation d’objets tenu par un inquiétant bellâtre. La suite, on s’en fout pas mal, un peu comme Diane Bertrand, dont le cinéma ne cherche qu’à créer du beau et du fétichisme à la chaîne. Mais son application, à la limite du têtu, finit par payer. A force de poses de modes, d’images léchées et de fantasmagories érotiques, le film trouve naturellement sa respiration : indolente forcément, entre ennui béat et délassement hypnotique. Pas désagréable et même mieux que ça. Diane Bertrand n’est certes ni Claire Denis ni Wong Kar-waï, mais son style fait de dépouillements et de rondeurs successives assure le climax minimum.

Du coup, de ridicule, de péteux, il y a peu, tant le film s’en remet au plaisir primitif du cinéma d’artisan : composer un plan, saisir la plastique parfaite d’une actrice, jouer avec les formes, les couleurs et les matières. Et puis Diane Bertrand ne se la raconte pas tant que ça. Elle préfère s’inscrire dans un mouvement, revisiter un univers balisé plutôt que de créer un monde de toute pièce ou jouer de la modernité post-godardienne pour mauvais élèves prétentieux. Pour preuve, le glissement rapide du film de la poésie industrielle vers le conte de fée, genre de facto plus saisissable. Tout y est : château perdu dans la forêt, chèvre de monsieur Seguin, Blanche Neige et Barbe Bleue dans la maisonnée. En flottement absolu, la narration joue les bouches d’aérations, sans quoi le film pourrait facilement s’asphyxier dans le décor.

Le casting est au diapason de cette quête du sublime : Olga Kurylenko, jeune mannequin à la beauté cireuse, sensuelle et fraîche comme une pucelle de roman. Même son jeu, très fragile, entre maladresse de phrasé et raideurs du corps, renvoie à l’équilibre périlleux du film : toujours à deux doigts du too much, du détraquement impur et de la théorisation mal goupillée du fétichisme. Face à elle, Marc Barbé dans son numéro habituel de loup-garou du cinéma français qu’il trimballe depuis Grandrieux et Trois huit, mini-légende pas loin de se caricaturer. A travers lui, c’est l’effet miroir du film, le coté symbole qui regarde le symbole qui ne passe pas. Car plus terre-à-terre qu’il n’y parait, le film ne sait que montrer, finalement incapable de s’incarner ou de s’abstraire. Mais il n’est pas interdit d’imaginer que Diane Bertrand y parvienne un jour.