Ce qu’il reste aujourd’hui de L’Agence tous risques, la série, pourrait tenir sur quelques octets de mémoire : petite musique familière du générique, réminiscence d’objets cultes (cigare, mini bus), tronches ad hoc. Hormis Mister T et le sourire Colgate d’Hannibal Smith, rien qui ne soit impossible à cloner, rien qui ne corsète vraiment l’hypothèse d’une adaptation cinéma. Celle de Joe Carnahan, justement, se montre particulièrement sereine quant au mythe. Dès l’ouverture, genèse de la petite équipée, la distance idéale est trouvée : ce premier quart d’heure, déconnecté narrativement du reste, se voit à la fois comme le pilote fantasmé de la série et celui du film à venir. Cohabitation rêvée, donc : le plaisir du revival pur le dispute à l’enthousiasme de la relève, puisant sans complexe dans le patrimoine (les acteurs sont tous très bons) et perpétrant l’esprit rigolard de la série, entre autodérision et tentation parodique – très clairement de Mission : impossible.

Distance bienvenue car L’Agence tous risques n’hésite pas à prendre le monde réel pour un vaste terrain de jeu, à deux doigts parfois de lorgner vers une fascination va-t-en-guerre pour des fantasme de bidasse joufflue : ici un grand numéro de cambriole en plein Bagdad occupé, là l’exécution d’un général ressemblant très fort au Saddam Hussein hirsute capturé par les Américains. Mais voilà, la dérision désamorce tout, le film se révélant dans ces moments critiques plus idiot que malsain. Il n’empêche que Carnahan est bien meilleur dans la gaudriole cartoonesque, détachée de la géopolitique et des images de JT. Sommet, l’évasion d’un hôpital psychiatrique de Looping, le pilote d’hélico timbré, au moyen d’un film en 3D qu’il projette contre un mur de l’établissement bientôt transpercé par la Jeep bien réelle de l’A-Team venue à son secours.

Pas aussi inspiré, le reste tient néanmoins le choc, décuplant les scènes d’action jusqu’à l’étourdissement. En fait, le film n’est que cela : une enfilade de missions briefées et exécutées dans le même mouvement, sans respiration, avec une exigence de spectaculaire sans cesse renouvelée. Ce qui fait sa force (obsession du rythme et du rendement) mais le pousse aussi immanquablement au surrégime – d’autant que Carnahan n’arrive évidemment pas au genou d’un De Palma ou d’un McTiernan. Sa mise en scène répète les mêmes figures en boucle et renonce la plupart du temps à démêler les effets de manche du scénario. Visuellement, L’Agence tous risques le paie forcément, compensant par une surenchère artificière. Pas dramatique, mais quand même : si l’honnêteté de l’entreprise n’est pas en cause, le film, lui, pèse quand même un peu sur l’estomac.