Au premier Kill Bill, gerbe à images incroyablement sophistiquées, succède donc ce second volet, attendu depuis un peu plus de six mois maintenant. Attente ni trop courte ni trop longue : juste le temps de se remettre de l’incroyable claque visuelle du premier pour prendre du recul et poser un peu les choses. Plus « spaghetti », nous avait-on prévenus. De fait, les gracieuses chorégraphies extrême-orientales laissent place à une dilatation du temps un peu moins spectaculaire, les purs face-à-face et orchestrations barbares millimétrées se raréfiant au profit d’un plaisir non moins régressif : longues plages d’attente, gros plans léoniens, violence plus rentrée, concentration sur quelques personnages -Budd, Elle Driver et évidemment Bill, le gros morceau du diptyque.

Si le film fonctionne sur un mode tout aussi binaire que le premier, se refusant à toute profondeur, il s’ouvre à des effets de pause et de rupture qui ramènent sur le devant de la scène la qualité première du cinéma de Tarantino : plaisir du décrochage, nonchalance insolente, dialogues interminables érigés en épicentre de l’action. A la dynamique aiguisée du premier volet, Kill Bill (vol 2) préfère un recentrage inattendu sur les caractères (Budd, le frère de Bill, rebut de la société et caricature du beauf yankee, suivi jusque dans les moindre recoins de sa vie pathétique) et la mise en échec, par le seul recours au tempo dialogué, de personnages démythifiés. Si les trouées sublimes demeurent (la scène de l’enterrée vivante, directement ponctionnée du Frayeurs de Lucio Fulci), autant que quelques morceaux de bravoure hystérique (le combat face à Elle Driver), le tout est noyé dans un mouvement plus ample et plus souterrain : description de l’Amérique profonde, lenteur et trivialité, morbidité et refus du climax à répétition.

Cette nouvelle temporalité permet deux choses : l’une, assez déceptive, d’amenuiser l’impact effarant du premier en recadrant ses objectifs spectaculaire au profit d’une remarquable tension narrative ; l’autre, plus surprenante, de redonner un souffle à la logique de sérialité et de répétition qui mobilisait le premier volet sans que jamais l’univers qui a surgi avec lui ne s’en trouve remis en cause. Cette impression que désormais le monde incandescent du premier est la norme ne neutralise en rien les enjeux dramatiques de l’ensemble : au contraire, elle les ré-enchante et les perpétue avec une fluidité et une assurance extraordinaires. Western dandy et godardien où la danse détraquée des cellulaires a remplacé les gunfights, Kill Bill (vol 2) n’est en rien le film d’une soumission à la toute-puissance du passé. En son arène immobile et silencieuse -gymnase et jardin multicolore dans le premier, living-home ou désert mythique ici-, plutôt la confirmation en forme de chef-d’oeuvre apaisé d’une redéfinition totale de l’espace du cinéma de genre moderne.