A la vision de Khroustaliov, ma voiture !, on ne pourra reprocher à Alexeoe Guerman de réaliser des films pour l’Occident et en particulier pour le marché européen. Il a ainsi le prime honneur de figurer parmi les cinéastes intransigeants, qui font de l’art absolu sans se soucier de la trivialité des tracas de production. Alexeoe Guerman fait des films avant tout pour lui même, mais cette démarche, en soit très belle, atteint quand même ses limites quand justement celles-ci franchissent l’incompréhensible. Réaliser une œuvre sur la Russie de Staline tout en y insufflant l’esprit du grand Dostoïevski et des souvenirs autobiographiques, est déjà une tentative ardue, alors que dire si son traitement atteint en plus la dimension de l’a-narratif ? C’est ici le problème soulevé par le film : il est multi-référentiel à outrance, sans laisser la moindre place à la compréhension immédiate. Sans vouloir niveler par le bas l’attention du public, le film me semble brasser trop d’enjeux, d’histoires, d’images et de souvenirs pour un jeune Occidental ne connaissant ni Guerman, ni le complot des blouses blanches de 1953 et ayant quand même lu au moins un roman de Dostoïevski ! On ressort du film en ayant l’impression d’un cruel manque d’informations, avec la frustration de ne pas même avoir saisi les micro-actions du film, tant la mécanique de Khroustaliov, ma voiture ! semble pensée dans ses moindre détails. Les plan séquences -d’ailleurs assez virtuoses- illustrent cette attention avec le quasi ballet des personnages à l’intérieur de cet espace-temps. La réalisation de Guerman dans son ensemble suit ce désir de précision malgré l’impression de grand foutoir qu’il veut insuffler au film. Tel un Fellini (cf. la rondeur des personnages) en plus dégueulasse et en plus pragmatique (ce qui déjà donne la mesure du film !), le cinéaste retrace l’histoire d’un médecin chef et spécialiste du cerveau, Youri Glinski, aussi général de l’Armée Rouge sous le règne de Staline. Participant au complot des « Blouses Blanches », il doit ensuite prendre la fuite, mais est arrêté et enfermé au goulag où il est torturé. Peu après il est appelé au chevet de Staline, mourant, pour le soigner. Enfin dans la dernière partie nous le retrouvons chef de bande et de trafics en tous genres. Si l’histoire illustre bien l’ambition d’Alexeoe Guerman de dresser une histoire de la Russie, de Staline à nos jours, avec comme objectif latent d’en dresser le bilan, elle illustre aussi l’effort de repérage historique demandé au spectateur. Ajoutons à cela le traitement particulier infligé au film, placé sous l’angle déformant d’un grotesque caricatural (tous les adultes sont de bons gros Russes bien conformes aux clichés) à la limite du tic (voir les crachats de Youri aussi incessants qu’énigmatiques !) qui obscurcit encore cet objet cinématographique travaillé, mais difficilement identifiable.