Kaboom : voilà un film explosif. Il faut commencer par là puisque dans ce titre parfait, tout est dit. Tout, c’est-à-dire, ensemble, la remarquable décontraction d’Araki (qui à la fois fait un film léger, récréatif, et peut-être, d’une certaine manière, son meilleur – lire notre entretien), l’enthousiasme libérateur que le film inspire, et aussi le rigoureux programme fixé pour la mise en scène. La légèreté d’abord : le film parait presque une pochade, tout y semble permis (d’ailleurs Araki ne s’est pas fixé d’autre horizon – voir notre interview), c’est un tour de manège acidulé et jubilatoire, enivré tout du long par une énergie qui n’en finit plus de grossir jusqu’à ce que, « Kaboom », le film s’arrête, sèchement, comme épuisé par son éblouissante vitalité. Alors c’est simple, il fait un bien fou, il y a longtemps qu’on ne s’était pas amusé comme ça. Mais il faut voir aussi avec quelle intelligence Araki active cette apparente désinvolture, il faut voir la cohérence avec laquelle son inspiration se développe à partir d’un sujet, les teens, auquel il n’a pas renoncé depuis ses débuts (et Araki, quand même, a aujourd’hui une bonne cinquantaine). Kaboom, c’est frais, mais c’est aussi un peu plus que ça.

A Cannes, en 2010, où sa légèreté le condamnait à une séance de minuit, le film a suscité un fort enthousiasme, qui pour les plus euphoriques se disait grosso modo dans ces termes-là : le film donne très envie de baiser. De fait, c’est bien ce qui l’occupe. Durant 1h26 qui filent à une vitesse ahurissante, les trois principaux personnages, un garçon et deux filles, zonent dans leurs chambres de cité U, papotent au réfectoire de la fac, et puis finissent embarqués dans un épais mystère à la Twin Peaks pour se découvrir des superpouvoirs et une destinée qui leur fait peser sur les épaules rien de moins que le sort de l’univers. Mais surtout, ils baisent. Cette obsession n’est évidemment pas une surprise. D’abord, elle est le sujet du film, dès lors que c’est à son aune qu’Araki ausculte la jeunesse, par exemple celle de Smith, le garçon, évoquant d’emblée le planning chargé qu’inspirent à sa main droite les apparitions de son colocataire hétéro, un surfeur demeuré idéalement prénommé Thor. Surtout, pareil intérêt n’est pas neuf chez Araki. Kaboom renoue avec la veine la plus érotique de son cinéma, celle de The Doom génération, et d’ailleurs le film se présente comme un retour à la Teen apocalypse trilogy (Totally fucked up + The Doom génération + Nowhere). Sauf que ce n’est pas tout à fait ça.

On baisait beaucoup dans la trilogie, les films étaient pareillement colorés et drôles mais ils étaient aussi portés, à la fois, par un romantisme noir et par une ironie qui semblent avoir complètement disparu dans Kaboom. Dans le détail, le film est plein d’une ironie constante (les dialogues sont hilarants), mais la différence est que les personnages n’y sont plus conçus en réaction à une image de la jeunesse à laquelle Araki entendait, à l’époque, régler son compte. C’est comme si, ici, le sujet n’était plus brouillé par la propre jeunesse d’Araki, par son envie d’en découdre. En cela, Kaboom n’est pas plus une régression qu’un nouvelle pause récréative (la récré fumette de Smiley face) après la maturité annoncée par le splendide Mysterious skin. Simplement c’est la première fois qu’Araki fait de son éternel sujet un pur moteur de fiction, un pur moteur de mise en scène. Chez Araki, la jeunesse est une parenthèse arpentée comme une pure hypothèse de mise en scène, c’est d’abord un dérèglement dont il s’agit de pister, sur toute chose, les effets. En cela la drogue, par exemple, n’a toujours été qu’un prétexte : l’ivresse vient d’ailleurs, le vertige tient à ce dérèglement, à la torsion qu’il impose à une réalité embuée par une bête poussée d’hormones.

Dans Kaboom, d’ailleurs, il y a un peu moins de drogues. Le moteur presque exclusif, c’est le cul. Pendant ses deux premiers tiers, le film alterne avec une prodigieuse régularité les scènes de cul et les scènes vouées à faire progresser sa narration délirante, comme s’il fallait puiser dans les premières le carburant nécessaire à la progression des autres. Les personnages eux-mêmes fonctionnent ainsi, par exemple quand celui, génial, joué par Juno Temple, propose à Smith de baiser parce qu’un orgasme faciliterait l’avancée de ses révisions. Le « Kaboom » du titre désigne aussi bien cet horizon permanent de la jouissance qui propulse des personnages obsédés par l’idée de prendre leur pied, que le finale arbitraire et explosif où se termine le film et qui n’est que la conversion de cette libido. L’un est le rigoureux corollaire de l’autre : si les scènes de cul disparaissent pendant le dernier tiers, c’est parce que cette obsession a contaminé le film, c’est lui qui s’emballe, emporté par l’élan masturbatoire des personnages. L’idée est géniale, et précise ce que suggérait déjà la trilogie, c’est-à-dire que le cinéma d’Araki filme, littéralement, depuis l’inconscient de la jeunesse. En cela l’emballement de Kaboom n’est pas si arbitraire, son délire est une ligne droite : au début, Smith se branle, et à la fin c’est le film qui a joui. On aura compris que cette extase est, largement, communicative.