Fuckhead (l’étonnant Billy Crudup) pourrait bien être l’un de ces clochards célestes dont parlait William Burroughs. Misérable mais illuminé. Perdu mais touché par la grâce. Son existence n’a pourtant rien d’exceptionnel, mais la forme de liberté qu’il a choisie (pas de travail fixe ni de véritable attache géographique) lui permet de goûter des instants d’intense lyrisme, de baigner dans des lumières auxquelles le commun des mortels n’aura jamais accès. Effets de la drogue et du psychédélisme ambiant (nous sommes dans les années 70) ? La réponse reste ouverte, et la réussite du film réside en grande partie dans ce choix de ne pas scinder le récit en deux strates trop distinctes (le réel / les hallucinations), et d’éviter ainsi le piège des effets ostentatoires censés illustrer le « trip ».

A quelques exceptions près (dont des fleurs parlantes), les aventures de Fuckhead ne relèvent donc ni du mirage ni du miracle (malgré le titre), mais d’un subtil décalage par rapport à notre perception de la vie. Et si la narration -guidée par la voix-off du héros- adopte elle aussi des bifurcations tordues (comme ces amorces de séquences coupées par des flashes-back), c’est avec une limpidité qui confine à la transparence. Rendre l’extraordinaire naturel : voilà ce que réussit Alison Maclean en se fondant dans l’univers souvent cruel mais tellement doux de Fuckhead. Comme si elle rêvait elle aussi de ce parcours qui a tout pour être scabreux -overdoses, dépendances, petits boulots dans un hôpital puis dans un asile- et qui s’achève pourtant dans une totale osmose poétique avec le monde. En se mettant volontairement en marge de la société, Fuckhead apprend à voir (l’avenir proche), ressentir (la nuit neigeuse), écouter (le chant triste et apaisant d’une femme mormon), dans une sorte d’exaltation permanente (parfois jusqu’au burlesque : voir la scène très drôle de l’opération sous ecstasy) qui passe également par la rencontre de l’Autre -l’éphémère Michelle, ou encore le touchant personnage de handicapée joué par Holly Hunter. Des événements très simples, en somme, mais que peu de cinéastes ont captés avec une telle proximité d’âme vis-à-vis de leur créature.