De prime abord, Hellboy paraît être d’une simplicité enfantine. A y regarder de plus près, le dernier film de Guillermo Del Toro est pourtant une oeuvre radicale et à contre-courant du système hollywoodien. Il suffit d’ailleurs de mettre à plat le scénario, qui embrasse sans aucune inhibition le fantastique, pour réaliser à quel point Hellboy évolue dans un terrain miné, où le moindre trébuchement fait sombrer un chef-d’oeuvre dans les méandres du nanar. Car il est quand même question ici d’une équipe de monstres, chargée en secret par le gouvernement américain d’enquêter sur le mystérieux complot de nazis immortels guidés par un Raspoutine assujetti à des dieux ancestraux. Un mélange de genre délirant, digne d’un roman pulp, qui aurait pu sombrer dans le cynisme le plus total ou un ridicule achevé. Pourtant, le produit fini progresse avec un naturel désarmant. La personnalité de son réalisateur, artiste généreux, cultivé, passionné et d’une humilité proverbiale, n’est pas étrangère à cet exploit. Son plan de carrière, d’une rare intelligence, est sans aucun doute l’autre clef de cet accomplissement.

Car aussi gargantuesque que son Blade 2, mais aussi raffiné que son Echine du diable, Hellboy est à la fois le fruit du travail que le cinéaste a effectué sur sa narration filmique et ses obsessions depuis ses deux précédents films, et la résultante de la frustration que représente à ses yeux Mimic, sa seule réalisation qui a capitulé face au système des studios. Logiquement donc, Del Toro détourne de l’intérieur les plus extrémistes diktats des majors hollywoodiennes. Ainsi, les fans de la BD de Mike Mignola dont est tiré le film, auront noté l’adjonction aux monstres héroïques d’un comparse humain, selon l’épouvantable tradition du « sidekick » chère aux studios. L’utilité initiale de cette feinte scénaristique est de détacher le film de héros trop atypiques pour être suffisamment grand public, et de recentrer le récit dans des terrains consensuels. Chez Del Toro, cet embarrassant acolyte devient au final l’étranger resté sur la touche, tandis que le spectateur s’aperçoit dans le dernier plan qu’il a adopté exclusivement, et sans vraiment s’en rendre compte, le point de vue des monstres. Et le film touche au sublime, lorsqu’il met une distance respectueuse vis-à-vis de ses créatures, grâce à cet émissaire du nivellement par le bas.

A l’image de ce personnage décisif dans la réussite du film, Hellboy est empreint d’une maestria discrète, qui ne parasite jamais le plaisir premier du spectacle. Film somme (la quantité de grands noms du fantastique convoqués est impressionnante), oeuvre d’esthète (chaque plan est à la fois un pari technique, une relecture des compositions de Mignola et un projet de mise en scène virtuose), le dernier Del Toro est un authentique rêve d’enfant sur pellicule qui pourrait bien devenir le nouveau maître étalon du blockbuster idéal.