Happiness, c’est le bonheur impossible à traiter en-dehors du sarcasme. Joy, Trish et Helen sont trois sœurs d’une trentaine d’années vivant dans le New-Jersey. Leurs destins sont aux antipodes (respectivement adolescente attardée, mère au foyer et écrivain à succès) mais leurs quotidiens se ressemblent : vie sentimentale problématique, idéaux illusoires, environnement hostile… Autour d’elles gravitent quelques autres personnages tout aussi névrosés, d’un mari pédophile à un voisin obsédé sexuel en passant par une mère délaissée ou un enfant dont la préoccupation majeure est sa première éjaculation. Le ça freudien est donc bel et bien au centre du film, et souvent de façon explicite. En ce sens, Happiness est une sorte de Mary à tout prix acerbe. Les deux films cultivent notamment le même attrait pour l’image du sperme, comme si les nouveaux enjeux comiques du cinéma américain devaient passer par ce désir inédit et plutôt primaire de crudité graphique. Comme les frères Farrelly, Todd Solondz filme ses créatures avec une certaine condescendance mal placée, poussant jusqu’à l’extrême le malaise qu’ils vivent et suscitent, se complaisant souvent dans la narration de leur malheur, de leur misère affective. Rares sont les moments où le cinéaste les aide à s’émanciper de leur propre caricature, préférant les laisser à l’état de symboles méprisables d’une Amérique malade. Tout cela est regrettable, car le talent de Solondz est nettement en progrès par rapport à son premier film inégal, Bienvenue dans l’âge ingrat.
Les dialogues de Happiness sont, dans leur genre, brillants ; les situations souvent surprenantes ; et la construction scénaristique, qui emprunte à celle d’un sitcom (perverti, bien entendu), très maîtrisée. De plus, Solondz fait preuve d’un sens indéniable de la durée du plan, excellant à créer la tension qui émane de certaines séquences. Dommage que réalisateur ne sache pas que la méchanceté (contrairement à la cruauté, qui, elle, entraîne un statut des personnages tout autre) n’a jamais été l’obsession de grands cinéastes.