Le premier film de Manuel Pradal, Marie Baie des anges, annonçait la naissance d’un cinéaste au talent visuel foisonnant et classieux. Ginostra, projet mûri de longue date, devait être une confirmation : acteurs prestigieux (Harvey Keitel, Andie McDowell, Francesca Neri, Harry Dean Stanton, Asia Argento), sujet ambitieux (une histoire de mafia entre Naples et la Sicile), tout laissait présager un film de grande qualité… Oui mais : le syndrome de l’enfant gâté qui pourrit la plupart des jeunes cinéastes français prometteurs (de Gans à Kassovitz) n’a pas épargné Pradal, et son film, sorte de grand parc d’attraction luxueux monté sur le vide, n’apparaît finalement que comme un simulacre prétentieux et ridicule.

La distribution tout d’abord : Ginostra sombre dans l’écueil catalogue en plaçant chacun de ses acteurs dans une sorte de pose qui, en plus d’être forcée, confine à la pure paresse artistique. Il n’est plus possible aujourd’hui de voir Asia Argento jouer les nonnes vénéneuses dans sa robe de bure sans sourire et voir liquidée toute l’étrangeté dont Pradal, sans doute de bon cœur, a voulu perfuser sa scène. Pas plus qu’il n’est possible de jouer les grands classiques américains du genre en inventant des séquences absolument invraisemblables de ringardise (le grand Parrain dans son 4×4 tentant d’enlever l’enfant par qui la loi du silence fut rompue) ou en filmant une villa italienne comme un vulgaire appartement-témoin de la Samaritaine.

On imagine sans peine ce que Ginostra, dans les mains d’un Michael Mann, aurait pu donner, et par là même ce vers quoi Pradal lorgne grossièrement. Un lent récit d’investigation tel que celui-ci (2h20) nécessite un pouvoir d’hypnose, la précision du style, une amplitude qu’à aucun moment la mise en scène de Pradal ne peut atteindre. Plus encore, le film souffre d’une fumisterie de tous les instants (mêlons Cosa Nostra sicilienne et Camorra napolitaine pour faire plus fort). C’est d’autant plus regrettable que le refus du folklore -peu de scènes de fête au village et de tarentelle, ce qui est déjà bien-, se trouve annihilé par des dialogues lourds comme des semelles de scaphandrier (à peu de choses près : « tiens mon petit, je t’ai préparé un panini tomate mozzarella » / « c’est même pas de la mozzarella di buffala, j’en veux pas »). Pradal a le mérite de croire dans ce qu’il fait (du vrai cinéma de genre, sans volonté auteuriste) mais sa recherche du beau plan oublie toujours qu’au cinéma, tout est question non de photogénie mais de cinégénie. Vrai film en toc, Ginostra est une œuvre pompière, boursouflée, artificielle qui, dans sa recherche d’un classicisme inatteignable (l’éruption finale du volcan), parvient à peine à se hisser au niveau d’un académisme froufrouteux.