Inspiré des Géorgiques, recueil de Virgile, qui donne son titre au film, Georgica reprend la substance philosophique de l’œuvre. Sulev Keedus établit un parallèle entre l’époque du poète latin (l’effondrement de la République romaine) et la sienne (l’état des ex-provinces de l’Union soviétique après l’éclatement du bloc) : les deux périodes sont caractérisées par le même désarroi moral.
Face au capitalisme féroce, déstabilisant pour des pays anciennement communistes comme l’Estonie, le cinéaste prône un retour aux valeurs de la terre. Il se place ainsi sous le haut patronage de Virgile qui exaltait la campagne pour mieux dénoncer les mœurs décadentes de la ville, sources d’avilissement pour l’être humain. Sulev Keedus se réapproprie cette théorie par un scénario très fidèle à l’esprit du Romain : un petit garçon perd la parole après avoir asséné un coup de couteau à un client de sa mère qui se prostitue. Il est alors envoyé sur une île qui compte pour seul habitant un vieil homme qui vit de la pêche et du labour des terres. Le vieux l’aidera à retrouver sa voix. En stigmatisant sans finesse la vie dissolue de la mère et en la rendant implicitement responsable de l’accident (Keedus la filme plus préoccupée de récupérer les boules de son collier cassé que de réconforter son fils), le cinéaste manque quelque peu de finesse dans l’analyse d’une situation humaine forcément plus nuancée.

Georgica est pourtant un film qui se laisse agréablement regarder car son réalisateur fait preuve d’un talent indéniable pour la mise en images. D’une lenteur calculée, les scènes se développent selon une logique temporelle propre, avant tout soucieuse de laisser le temps se diffuser et devenir palpable. Autre réussite du film : sa superbe photographie. Elaborée grâce à un usage très précis de la lumière, elle évolue selon la tonalité affective des scènes. On pense à la douce lumière sépia qui colore les flash-back sur la tribu africaine dont le vieil homme était le missionnaire. Ces plans, en décalage avec l’univers du film, apparaissent presque mystérieux, voire mystiques. Ainsi, le cinéaste bâtit son film sur une très belle dialectique entre l’ombre et la lumière, à tel point qu’elle semble déterminer directement tous les événements plastiques. Œuvre d’esthète, Georgica offre le confort d’un film formellement maîtrisé, malheureusement sous-tendu par un discours qui n’est pas à la hauteur.