Crise oblige, la recrudescence des documentaires autoproclamés « citoyens », menée de front par l’impayable Michael Moore, sévit méchamment. Apôtre du documentariste star (on peut aussi nommer Morgan Spurlock, auteur du non moins crétin Super size me), Robert Kenner s’attaque ici à son tour à la grande distribution, via la lorgnette agroalimentaire. En France, Jean-Pierre Coffe a pris les rennes de la lutte populiste contre la malbouffe et fait paradoxalement de la pub pour une marque discount. Un moindre mal à côté d’une telle purge que cet agaçant documentaire, qui prétend taper dans la fourmilière des tycoon de nos assiettes, mais qui se prend les pieds dans le tapis de l’investigation bâclée. Fast food nation (2006), avait déjà, par la fiction, succombé au registre alarmiste dans sa dénonciation des dérives expansionnistes et autres méthodes concentrationnaires des agri-businessmen. Sous couvert d’une enquête pétrie de bonnes intentions, Food, Inc. se contente d’asséner des images-chocs pour masquer un manque flagrant de cohérence : alerter son public sur les dangers à venir pour sa survie mais encourager en même temps ses remords consuméristes en martyrisant ses sensibilités gastriques (usage à outrance de plans nauséeux de charniers d’animaux et autres joyeusetés). Rien, du montage à la bande-son, ne semble épargner une vision entièrement vouée au spectaculaire fastoche : quid d’un quelconque recul sur ce qu’on montre, si ce n’est un simulacre de drame à chaque plan ?

Comme pour bon nombre de documentaires galvanisés par la victoire cannoise de Fahrenheit 9/11, on retourne les armes contre ses supposés ennemis : une avalanche de statistiques pour montrer qu’on sait mieux que tout le monde, un recours aux pires méthodes putassières (les larmes d’une Congress woman devant la photo de son enfant mort d’empoisonnement, victime de la junk food), une brochette d’intervenants stéréotypés, le tout bien emballé dans des séquences en caméra embarquée dans les coulisses de l’abattage animal. Sans omettre la sacrosainte conclusion : « mangez bio, réunissez-vous chaque soir en famille autour d’un bon repas équilibré, récitez le bénédicité en choeur » (une intruse, mais potentiellement envisageable, s’est glissée parmi ces propositions).

Résultat : un malaise, certes, mais pas celui escompté d’une mauvaise conscience, plutôt la gêne de subir un coup de boutoir interminable, coupable d’avoir négligé une gageure essentielle: confondre son sujet (la maltraitance des bovins) et son public. On aura beau arguer que ce genre de documentaire est essentiellement calibré pour l’opinion américaine (excuse infâme se cachant derrière une prétention pédagogique), la catégorisation d’un public ciblé semble la preuve d’une honnêteté toute relative. A se rêver brûlot contre l’ultralibéralisme, Food, Inc. se réveille en pure baudruche de démagogue. L’héritage de Robert Kramer ou de Frederic Wiseman semble tari. Plutôt que de le pleurer, on pourra se retourner vers une excellente alternative allemande, Notre pain quotidien, au sujet similaire, dont la sobriété vaut comme leçon de maturité subversive face à une telle débâcle.