Gitan officiel du cinéma français, Tony Gatlif en est paradoxalement l’un des plus sédentaires. A force de filmer l’errance, les minorités ethniques et de se rassasier de world music depuis près de 30 ans, ses nouveaux opus ne se défont jamais d’une indéniable pantouflardise. En dépit d’un prix de la mise en scène à Cannes et du mini-scandale qui s’en suivit, Exils ne déroge pas à la règle. Invitation au voyage, apologie de la caméra à l’épaule, une image brute qui n’aime rien tant que filmer les pare-brise crados des vieux bus fatigués, une poésie naïve, très naïve qui contient, grâce à son anti-raffinement, une indéniable dose d’émotion.

Ça commence du haut d’une tour de cité banlieusarde. Duris et Azabal sont à oilpé, ils fument, lui miteux, elle provocante. Jeunesse, social, beauté de la pouillitude et de la pauvreté. Algériens d’origine (il est fils de pied-noir, elle beurette), le couple décide de revenir aux sources, à Alger, histoire de combler un manque indéfinissable, bref satisfaire un instinct primaire. C’est également tout l’enjeu du film. Car Gatlif n’est ni un intello qui veut s’essayer au réalisme poétique, ni un altermondialiste récemment converti. C’est un autodidacte, un vrai de vrai qui se sert de la caméra comme d’un vecteur purement impulsif : communiquer ses émotions, s’émerveiller, montrer ce qu’il connaît. D’où la réussite du film, opus plus personnel que d’autres tentatives franchement irregardables (Gaspar et Robinson) ou de fresques pétries de bonnes intentions mais à qui il manque un petit supplément d’âme (Gadjo dilo). Derrière ses attributs apparents de film-spontané, Exils est au contraire l’oeuvre de la maturité, du vécu. Les lieux, la lumière, les gravas, la musique gitane ou même Romain Duris ont déjà été visité plusieurs fois. En résulte une sorte d’évidence, une précision chirurgicale pour trouver le bon point de vue.

Et puis il y a l’Algérie, lieu de naissance de Gatlif qu’il retrouve avec un mélange d’émotion et de curiosité. Duris et Azabal visitent les ruines du tremblement de terre, s’invitent chez les nouveaux propriétaires de l’appartement de ses parents. On découvre le mobilier inchangé, on ouvre le vieil album photos. Gatlif ne donne jamais à réfléchir, il filme en même temps qu’il pleure de joie et s’enivre de musique. La dernière scène, transe interminable où les deux personnages trouvent enfin l’apaisement, le dit sans coups tordus. La sensation forte fait l’effet d’une drogue qui jusqu’à l’épuisement calme et instruit. Pour cet esprit aventureux où l’école de la vie vaut mieux qu’un long discours, on lui pardonnerait presque sa psychologie maladroite et ses fulgurances de vieux soixante-huitard, où l’on court cul nu dans les vergers. Guy Debord disait d’un de ses films antérieurs « qu’il ne trahissait pas ». C’est le moins qu’on puisse dire.