Eternel lampion accroché aux fesses d’un cinéma européen toujours à définir (si besoin est, pas sûr), le renouveau du cinéma allemand. Mille fois annoncé, mille fois attendu. Histoire de dissiper l’impression que le 7e art, outre-Rhin, n’a connu qu’une antique période glorieuse (l’expressionnisme, les dieux de l’ère du muet) et quelques étoiles isolées (Syberberg, Fassbinder…). Cette fois, pourtant, on sent qu’on tient quelque chose. Vous pensez à Good Bye Lenin ! et Head-on ? Vous avez tort. Cela se passe du côté de jeunes cinéastes dont le nom ne dit pas grand-chose : Christian Petzold (Contrôle d’identité), Angela Schanelec (Marseille), Christoph Hochhaüsen (Le Bois lacté), Henner Winckler (Voyage scolaire), Ulrich Köhler (Bungalow). Et Jan Krüger, qui nous occupe ici. De loin, méfiance tout de même. A se souvenir ce que le voisin autrichien a proposé pour son grand renouveau, on tremble. Les fictions laides et plus ou moins haineuses des émules de Hanecke (Ulrich Seidl, Barbara Albert, Ruth Mader, le prochain Jessica Hausner) ont vite épuisé leurs spectateurs les plus attentifs, qui n’en veulent plus. Si les jeunes Allemands avancent eux aussi sous la bannière d’une radicalité maussade et d’un refus de l’amabilité, ils ont encore, pour eux, pour l’instant, une certaine fraîcheur.

En route : d’abord au camping, où s’ennuient un peu Sandra, sa fille Jule et son jules Benni. Survient Marco, jeune et blond, qui fait irruption dans la vie du couple, qui s’incruste dans le champ, qui s’introduit dans le lac où se baignent Benni et Jule. Sympa, Marco propose une virée polonaise. Le couple accepte. Double motif du road-movie à suspens et de l’éternel trouble causé par les jeunes éphèbes. Jan Krüger parvient à tenir la tension qui habite les premières minutes du film jusqu’au bout, disons, des deux tiers du métrage. A partir de là, il s’abîme dans un trop-plein de dérèglements, voulant jouer à fond la carte du malaise et de l’étrangeté, épuisant dans une scène où les protagonistes s’essaient au théâtre ce qu’il tient de mystère et d’étouffante inertie, voulant en faire trop. Auparavant, il a su mettre en place quelque chose : une tension, une gêne liée aux multiples pistes lancées par la présence encombrante, mais bientôt indispensable, du gentil Marco. Pistes combinatoires : que veut Marco ? Coucher avec Sandra ? Avec Benni ? Ni l’un ni l’autre ? Réussite du film quand il maintient son suspens dans une âpreté muette et sans échappatoire : grain de l’image, balade en moto, baignade interdite, regards sondeurs entre Benni et Sandra, sourire de Marco. D’Allemagne, un souffle sec s’est emparé de jeunes cinéastes à qui l’on peut souhaiter de garder la netteté de leur trait, de veiller aussi, dès maintenant, à ne pas s’y enfermer trop vite.