Premier long-métrage du jeune Richard Kelly, avec Drew Barrymore comme « executive producer » et interprète, Donnie Darko confirme le renouveau de la production indépendante d’outre-Atlantique, longtemps moribonde. Là où beaucoup de ses pairs s’attaquent frontalement au malaise de la jeunesse américaine, Richard Kelly aborde ce thème de manière biaisée, avec un personnage introverti (l’excellent Jake Gylenhaal), plongé dans les méandres d’une intrigue surnaturelle.

Donnie est un adolescent solitaire, vivant dans une banale banlieue américaine. Il est le seul à percevoir une étrange créature, Franck, qui lui annonce que la fin du monde est proche. Une nuit, la chambre de Donnie est écrasée par un réacteur détaché d’un avion, et il échappe de peu à la catastrophe. Peu après, dans la petite ville et le lycée de Donnie, plusieurs phénomènes étranges se produisent, et un gourou malsain vient intoxiquer les habitants avec des théories fumeuses sur la recherche du bonheur. Donnie est de plus en plus persuadé de vivre ses derniers jours. Adolescent extralucide, il semble porter sur ses épaules la bêtise et l’inconscience d’une Amérique en quête de repères. Ados conformistes et violents, parents avachis et incultes, un charlatan (étonnant retour de Patrick Swayze) venu vendre de la spiritualité au rabais…

Pourtant, malgré quelques sorties hilarantes contre les aberrations de cette sous-culture et son ésotérisme new-age, Donnie Darko ne verse jamais dans la satire. Quand un Tod Solondz -comme dans le récent Storytelling- ménage le malaise avec un humour ambigu et caustique, Richard Kelly abolit la distance et son film, plein de compassion, reste en osmose avec son personnage. Il distille les images d’un rêve sombre, jalonné de symboles et d’apparitions (la créature au masque de lapin difforme nommée Franck), qui captivent par leur densité ambiguë. On glisse insensiblement d’un univers familier, celui de cette banlieue résidentielle cossue, à un revers obscur où Donnie perçoit un désastre à venir. Et même si le film est une rêverie (accompagnée d’une bande-son remarquable), le suspense est réel, tout en pressentiment, en frayeur contenue. L’histoire d’amour, d’un lyrisme très pur, ne laisse pas indemne non plus. Un premier film singulier, intense, dans lequel tout ce qui échappe laisse une trace profonde.