Aux doucereux prénoms de Noémie et Priscilla répondent les jeunes atrabilaires qui occupent ici la scène. Inséparables, elles rasent les murs de leur lycée de ZEP, répondent insolemment à leurs aînés, préparent des exposés sur Kleist, encaissent péniblement les joints et le pastis – il faut bien en passer par quelques signes extérieurs de marginalité. Il va sans dire qu’elles ont habillées de noir (et d’un collier de rottweiler pour Priscilla). Cultivant une connivence susurrée, elles mijotent leur suicide, programmé à plus ou moins longue échéance. Le monde des adultes a tôt fait de s’inquiéter de leurs frasques juvéniles, d’autant qu’elles commencent à sentir franchement le sapin.

A trop se passionner pour les fantasmes tourmentés des jolies jeunes gourdes, peut-être finit-on soi-même par perdre pied et basculer dans le romantisme aveugle. L’héroïne du précédent film de Jean-Paul Civeyrac, A travers la forêt, était déjà tenaillée par le désir de contourner le réel, bouleversée qu’elle était par la disparition de l’être aimé. Mais alors que sa quête ésotérique était l’occasion de retracer subtilement les frontières communes du fantastique et de l’imaginaire individuel, Des Filles en noir s’abandonne tout entier au fourvoiement sombre et grossier de ses adolescentes.

Les caractérisations des personnages partent d’un malentendu ; la littérarité des dialogues et la mise en scène référentielle changent leurs portraits en caricatures éhontées. Après une succession de marqueurs sociaux balourds, la révolte lyrique et chuchotée du tandem ne tarde pas à forcer l’invraisemblance, et l’irrévérence des filles comme leurs jérémiades formatées achèvent de tirer les situations vers le grotesque. Avec elles, le film bascule dans un puits de lieux communs sur la jeunesse. Par exemple avec cette fâcheuse tendance à croire (ou à feindre de croire) à l’authentique atypisme de ces filles, à s’auto-convaincre que leur malaise recèle une profondeur et une mélancolie non éprouvée par leurs camarades, moins affûtés. Alors que les indices dispersés sur leur compte – rituels vestimentaires, curiosité esthétique, goûts musicaux – ne font que confirmer, en ne les dépassant jamais, les sempiternels symptômes du complexe adolescent, synchrone avec les premiers émois morbides et autres mauvaises peaux. Difficile, avec un pareil tableau, de voir autre chose que le récit des déboires de deux cloches irritantes, purs produits du gothique de supermarché, dont les faits et gestes sont réunis en une insupportable définition abrégée du spleen post-pubère.

Elles ne sont pas seules, d’ailleurs, à essuyer les frais de la caricature. Car le reste du monde obéit à cette orchestration outrageusement figurative, et se noie dans une vision sociale comparable à celle d’un ado en crise. Chaque instance ne fait qu’obéir à sa logique, implacable : les parents sont largués et désarmés, l’école remplace l’écoute par la discipline, le prince charmant est d’une indifférence crasse, et le seul soupirant aux alentours est nécessairement un trentenaire encravaté et borderline, dévoré par la frustration. On pourra invoquer la tentative de saisir les inquiétudes profondes dissimulées derrière les comportements ordinaires et le langage prétendument libéré de notre époque, et d’interroger culturellement les racines de l’élan suicidaire. Mais le terrain arpenté par le cinéaste est trop sociologiquement connoté pour autoriser une quelconque immersion : tout comme les héroïnes entretiennent un rapport à la mort empreint de la « pensée magique » chère aux charlatans, il faudra s’en armer jusqu’aux dents, de pensée magique, pour croire à ce salmigondis d’artifices.