Il faut saluer l’audacieuse ressortie, par Swashbuckler, de ce film étrange et méconnu, évidemment mineur au regard des chefs d’oeuvre de Preminger, mais tout de même assez passionnant. Des amis comme les miens est représentatif en cela d’une fin de carrière déconcertante, parsemée de films impurs et monstrueux (Skidoo, Junie Moon...) où semble résonner chaque fois le glas du classicisme hollywoodien. Il l’est aussi, plus globalement, de ces quelques oeuvres tardives de grands maîtres (Cukor, Minnelli, Wilder…) qui devaient refermer leurs filmographies sur une même note souffreteuse et inquiète. Son classicisme décadent s’offre comme le stade terminal d’un genre, le woman’s picture, qu’il entraîne jusqu’à un stade théorique, quasi-expérimental, au moyen d’un scénario aussi limpide que génial. Une intervention chirurgicale a priori anodine plonge Richard Messinger, puissant rédacteur en chef d’un magazine culturel, dans le coma. Son épouse Julie (Dyan Cannon, physique californien déjà vu dans le beau Bob & Carol & Ted & Alice de Paul Mazursky), livrée à elle-même avec ses deux enfants, attend sa guérison et découvre au passage qu’elle a été trompée plusieurs fois.

Sorti en 1971, Des amis comme les miens (Such good friends en VO) prend le pli général d’un cinéma hollywoodien de plus en plus perméable aux mutations de la société américaine. La représentation du couple en est, prioritairement, affectée : les films désormais le montrent en crise, le dissèquent, le remplissent de psychologie. Le film de couple en crise devient un genre en soi, avec Reflets dans un oeil d’or (John Huston), Voyage à deux (Stanley Donen), Bob & Carol & Ted & Alice (Paul Mazursky), Le lauréat, Ce plaisir qu’on dit charnel, Qui a peur de Virginia Woolf  (Mike Nichols), et, donc, Such good friends, qui figure le divorce de manière frontale. Finie la joyeuse guerre des sexes du classicisme : le couple devient le lieu d’un dialogue de sourds – et de fait ici, l’homme est tout bonnement absent. Le film de Preminger partage d’ailleurs avec Voyage à deux (et avec Les gens de la pluie de Coppola, où le mari est également absent) une utilisation systématique du flashback comme moyen de figurer un bonheur conjugal relégué à l’état de souvenir aussi lointain qu’étrange, peau morte rejetée par le présent du film.

Mais s’il s’ouvre sur ce terrain, Such good friends le quitte donc assez vite pour rejoindre celui du woman’s picture. Faire disparaître le mari, c’est faire apparaître l’épouse, la « femme de », et donc retrouver le principe de ce genre classique où il s’agit d’isoler suffisamment une figure féminine pour qu’elle ne soit plus définie seulement par rapport aux figures masculines, et qu’émerge un cogito féminin. Preminger avait déjà apporté sa contribution au genre avec les éblouissants Daisy Kenyon et Ambre, mais Such good friends en exacerbe la dimension fondamentalement inquiète par cette soudaine disparition de l’homme, qui est traitée comme un motif d’angoisse plus que d’émancipation. Such good friends figure est en cela un woman’s picture anti-héroïque, peignant tout du long une une apocalypse intime et feutrée, un suspense atone qui ne cesse d’être désamorcé par l’hédonisme ambiant.

En moraliste distancé et volontiers cruel, Preminger dépeint ainsi les moeurs d’un certain milieu (l’intelligensia new-yorkaise) à une certaine époque de la société américaine (décomplexée, lubrique) et de son cinéma (la modernité, la disparition du code Hays). La première scène du film donne le ton : Julie se prépare pour une réception mondaine où se trouvera réuni tout le gratin littéraire de l’époque. Elle s’habille d’un top tressé qui laisse deviner sa peau par intermittences. Au dernier moment, comme si elle prenait subitement conscience de l’absence de censure, Julie enlève son soutien gorge, offrant sa poitrine en spectacle à tous les hommes qui la croisent. De la possibilité de filmer des corps nus qui s’offre pour la première fois à Preminger, celui-ci ne retient que des échecs, des situations gênantes et ridicules, des personnages incapables de jouir alors même qu’ils ne pensent qu’à ça. La nudité ici est surtout celle d’hommes âgés et replets, comme si Preminger disait au spectateur : « Vous vouliez de la nudité ? En voilà ! ». Pour un cinéaste tel que lui, la soudaine permissivité d’Hollywood est d’abord une occasion de lever le voile sur une laideur tant physique que morale, sur les mesquineries intimes et la folie ambiante, la superficialité du petit monde littéraire, le corporatisme médical, bref : sur une vacuité généralisée, qu’exacerbe le vent d’anomie soufflant alors sur la société américaine.

Avec Such good friends, il met en scène une comédie délibérément déplaisante et agressive, commencée sur un ton badin pour virer peu à peu au cauchemar, comme si le film grimpait progressivement des paliers de dépression. Le résultat n’est pas loin d’être angoissant, presque gênant, mais Such good friends n’est en cela que la première étape d’un patient travail de dissolution pessimiste de l’oeuvre, dont The Human Factor (1979) constituera le climax maladif. Les deux films font une sorte d’autoportrait en deux temps de Preminger, lequel, en grand cinéaste de la maîtrise, tenait à orchestrer lui-même son agonie.