Demain, je brûle…, en d’autres termes, « je prends le bateau sans passeport pour franchir la frontière ». Le titre du premier long métrage de Mohamed Ben Smail installe d’emblée la notion de frontière au cœur du travail du cinéaste. Celle d’abord concrète qu’a franchi le héros (inspiré de Lofti, un ami proche de Ben Smail) pour poursuivre des études supérieures en Europe, puis celle évoquée symboliquement dans le passage de la vie à la mort (Lofti est atteint d’une hépatite à laquelle il succombera). Construit en forme d’hommage à cet ami défunt, le film retrace la journée de cet homme qui revient dans sa ville natale pour la dernière fois.

Une grande poésie se dégage de la première partie du film, la plus réussie, quand Lofti quitte Paris et fait ses premiers pas à Tunis. En quelques plans, Ben Smail parvient à évoquer l’intimité de son héros avec une économie de détails qui fait la part belle aux sensations. Une porte d’hôpital qui se referme, les rues grises et sales de la capitale, l’aéroport vide, puis la maison familiale endormie sont autant d’ambiances et de climats rendus palpables par la sobre mise en scène du réalisateur. Mieux, ce parcours géographique se double d’un parcours psychique dans lequel interviennent des images rêvées. Le voyage concret de Lofti cohabite avec son double, celui qui est fantasmé et qui le hante. Ses rencontres prennent alors une tournure étrange dans laquelle les fantômes du passé côtoient les survivants du présent. Malheureusement, ce trouble subtilement incorporé laisse place par la suite à ce que l’on appréhendait déjà au début du film. Le désir de coller au plus près à l’état d’esprit de son ami prend la forme d’un apitoiement ostentatoire. L’évocation délicate d’un adieu devient une complainte erratique empreinte de sordide et de malheur. Les situations glauques s’enchaînent selon un pathétique outrancier : Lofti retrouve un ami qui a perdu la femme de sa vie à cause de la relation passionnelle qu’il entretient avec sa mère, croise la route d’alcooliques noctambules paumés, revoit une ancienne amoureuse mal mariée dont la sœur est devenue folle après la fuite de son fiancé… Une overdose de lamentations gâte ainsi ce film qui avait justement commencé à nous captiver par la finesse de sa description.