Laurent Bécue-Renard, qui s’occupait du journal Sarajevo online pendant la dernière année de la guerre en Bosnie, a eu envie d’explorer l’avant et l’après de la vie des êtres affectés par la guerre, que l’information quotidienne fait souvent passer à la trappe. Pendant un an à raison de quinze jours par mois, il a donc suivi le travail thérapeutique de quinze femmes dans une ONG qui leur permet, grâce à une directrice formée par des psychologues féministes allemandes, de prendre le temps de se reconstituer un semblant d’avenir. La qualité de ce documentaire est de s’en tenir à son choix initial, celui de suivre les séances, donc la prise de parole progressive de ces femmes (au montage, trois d’entre elles émergent, Sedina, Senada et Jasmina) plutôt que de « contextualiser » le tout sous un flot mi-informatif, mi-empathique. On peut tout de même garder à l’esprit que c’est la disparition de sept mille hommes en juillet 1995, victimes de l’armée bosnio-serbe, qui marque l’existence évidée de ses femmes, puisqu’elles n’ont pas revu les corps de leurs maris. Quelques scènes sont filmées dans la maison -une communauté féminine dont le but est paradoxal : s’y préparer à la quitter pour retourner chez soi, dans des ruines. Mais le plus gros du film est constitué de plans frontaux, dans lesquels la caméra épouse l’écoute et le point de vue de Fika, la psychologue, parfois aperçue de dos, et dont la voix s’entend depuis le hors-champ.

De ces paroles recueillies, on perçoit d’emblée l’impact émotif (l’émotion naît moins des atrocités racontées que du travail de deuil que l’on voit s’accomplir) et politique (combien d’entre nous ont lu ou entendu, au-delà du décompte quotidien des morts, des femmes bosniaques parler de la guerre, de l’impossible deuil ?). Le choix de la parole analytique contre le témoignage est l’un des aspects forts du film, dont le montage se refuse d’établir une hiérarchie entre récits de rêve (« on venait me demander si le cadavre, dont il ne restait plus que les os, était bien mon mari »…) et récits d’horreur vécue (le frère de l’une des femmes, déchiqueté dans la cour de la maison familiale), tous échos du même trauma. L’utilisation de la DV, certes moins coûteuse et plus maniable que la caméra, ôte cependant à De guerre lasses un souffle documentaire, une ambition à laquelle le huis-clos presque théâtral du centre thérapeutique aurait pu contribuer. Les impératifs de temps et le coût de la pellicule 16 ou 35 lui auraient sans doute imprimé une urgence, un rythme qui lui manquent, et auxquels un découpage selon les saisons vient pauvrement se substituer.