Deuxième film d’Alec Proyas après The Crow, cette « cité obscure » aux résonances kafkaïennes possède un véritable impact esthétique. La métamorphose successive de l’univers du héros amnésique donne lieu à de magnifiques séquences en images de synthèse qui, chose si rare, trouvent ici naturellement leur place. Difficile de parler d’un film qui hypnotise tant par le biais d’une image aux teintes surréalistes extrêmement obscures et oppressantes. Si The Crow était une adaptation ratée mais un film visuellement très réussi, on ne pourra ici qu’être surpris de la richesse et de l’originalité du scénario.

Les étrangers, ceux qui vivent « sous terre », ont le contrôle de la cité et font sur leurs habitants de curieuses analyses. Ils sont tels des fantômes et traquent à la surface un héros aux pouvoirs troublants, en quête d’identité et suspecté de meurtre.
On se croirait au début en plein délire « lovecraftien », mais c’est en fait plutôt de l’univers de Philip K. Dick que Dark city s’inspire. L’idée originale de Proyas -métamorphoser l’univers autour du héros- fait penser au plus fameux des livres de l’auteur, Ubik, où le personnage principal évolue dans un monde qui se dérobe continuellement à ses yeux. On remarquera aussi quelques analogies avec les différentes adaptations cinématographiques de K. Dick dont Blade runner (pour la réflexion « philosophique » sur l’humanité) et Total recall (pour la mémoire dérobée au héros et les souvenirs artificiels qui la remplace).

Si la « cité-univers » de Proyas est le champ de bizarres expérimentations techniques sur les humains, elle sert aussi de lieu à une réflexion sur la condition de l’homme et sa liberté vis-à-vis de son destin et de ses fantasmes. Ainsi, si le scénario déroute dans un premier temps, c’est qu’il est débordant de complexité et les différentes trames (l’identité du héros, la nature des étrangers, la transformation successive de la ville la nuit…) n’aboutissent qu’à en former une, parfaitement homogène et l’on se dit, dans les meilleurs moments du film, qu’il remplit une fonction bien souvent trop sous-estimée dans le genre, celle d’utiliser un univers fictif créé, comme un champ propice au développement d’une fine réflexion.

L’équilibre qu’entretenait K. Dick entre la philosophie épurée et le fantastique et qui faisait toute la gloire de Blade runner est ici retrouvé par Alec Proyas qui, même s’il ne partage pas encore le talent de Ridley Scott (on pourrait facilement reprocher à la mise en scène un montage trop facturé et systématique), impose un style très personnel et fait de lui un des réalisateurs à suivre.
A travers trois films contemporains au style radicalement différent -Bienvenue à Gattaca, Vampires et Dark city-, on ne peut qu’observer un renouveau du cinéma fantastique, genre que des réalisateurs comme Besson, Emmerich et autres s’étaient acharnés à détruire, privilégiant l’humour et le spectacle sur la forme.