« Dance me to my song, un film de Heather Rose », annonce sobrement le générique de début de film. Car si Rolf de Heer, l’auteur du déjanté mais inégal Bad boy bubby, est bel et bien à la réalisation, c’est son actrice principale et co-scénariste qui investit l’écran de son corps, son jeu, son don de soi.
Heather Rose incarne donc le personnage de Julia, qui, comme elle, est atteinte d’une paralysie cérébrale en faisant un être à part : elle se déplace en fauteuil roulant électrique, communique à l’aide d’un clavier relié à une voix synthétique, est incapable de produire avec aisance le geste le plus élémentaire. Si Julia ne vit plus en institut spécialisé, elle est tout de même dépendante de Madelaine (Joey Kennedy), une garde-malade qui la transporte de son lit à son fauteuil (le matin) et de son fauteuil à son lit (le soir), lui fait faire ses besoins, la lave et la nourrit. Or, Madelaine est une névrosée qui accumule les échecs avec les hommes et qui rend la vie de Julia encore plus infernale. Elle retire de l’argent avec sa carte bancaire, la prive de son clavier lorsqu’elle est de mauvais poil, la laisse parfois moisir dans sa pisse et ses grosses taches de bouffe, et n’hésite pas à se taper devant elle ses peu reluisantes conquêtes. Julia ne se révolte pas, car le renvoi de Madelaine, c’est la menace du retour à l’institut, les garde-malades n’étant pas légion dans le coin. Heureusement, Julia a deux alliés : Rix, sa sœur (superbe Rena Owen en lesbienne adepte de la picole et des virées à toute berzingue) ; et Eddie (John Brumpton), qui s’est pris d’affection pour elle et dont elle est amoureuse.

L’intérêt du film repose en grande partie sur le regard que Rolf de Heer pose sur Julia. Il lui laisse le temps d’habiter un plan, et ne recule pas devant certaines situations : Julia a envie de chier, Julia en fout partout quand elle mange, Julia est en proie à un ardent désir sexuel. Le respect et l’amour du cinéaste pour son héroïne et son interprète balaient le risque du scabreux. La mise en scène, sans transcender son sujet, sait trouver sa place, discrète sans être effacée (l’utilisation du scope est maîtrisée et Rolf de Heer a un sens de la durée intéressant). On regrette seulement que le scénario ne soit pas plus original, se résumant dans ses grandes lignes à un conte de fées un peu trop utopique : le prince charmant, bellâtre musclé plutôt transparent, finit par évincer la jolie marâtre au profit de l’opprimée authentique et sincère. L’incroyable justesse du traitement sur un projet aussi difficile méritait mieux que ce récit somme toute simpliste.