Un vieil homme trimballe sa silhouette décharnée à travers Cuba. Jusque-là rien d’extraordinaire, si ce n’est que Miguel del Morales, plus connu sous le nom «  »d’El Gallo » » (c’est-à-dire le coq), est un chanteur des rues et que son unique bagage est une guitare. Karim Dridi nous convie à une sorte de road movie musical ; chaque étape d’El Gallo est en effet immédiatement suivie d’un «  »bœuf » » avec les musiciens du coin qui sont autant de représentants des différents courants de la musique cubaine : salsa, boléro, trova et même rap.

La vogue actuelle de la musique latino laissait craindre le pire : un documentaire opportuniste à destination des adeptes des cours de salsa ou autres auditeurs de Radio Latina. Fort heureusement, le voyage musical de Karim Dridi ne s’embarrasse pas des clichés que l’on pouvait redouter. Sa caméra vidéo n’enregistre aucune image carte postale de l’île, ni star de la musique cubaine mais tout simplement des hommes et des femmes unis par une même passion : la musique. Très peu de commentaires, très peu de paroles échangées, le film se consacre entièrement à une exploration musicale du pays. Ce dispositif minimaliste, ces partis pris évitent à l’entreprise d’être cataloguée «  »objet à la mode » » mais ne permettent pas pour autant de ranger Cuba Feliz dans la catégorie des œuvres passionnantes. Car le film se réduit le plus souvent à une succession de numéros musicaux. Prises séparément, les performances des musiciens présentent un intérêt certain mais leur enchaînement continuel donne à l’ensemble un aspect répétitif, légèrement ennuyeux. Une manière de filmer peu inventive -Karim Dridi ne se lasse pas de cadrer les musiciens en gros plan et de zoomer sur leurs visages- n’arrange rien à l’affaire.

On retient alors du film des instants, des personnages croisés au gré du périple. Telle cette rencontre avec Pepin Vaillant, un trompettiste excentrique aux mains immenses et fascinantes, ou encore cette scène dans laquelle un jeune rappeur plein d’enthousiasme tente de s’incruster dans la ronde du changüi -une musique avant tout basée sur l’improvisation-, et se fait rapidement remettre à sa place par des vieux chanteurs gardiens d’un rite aux règles immuables. Plus que du voyage, on se souviendra de quelques étapes particulièrement marquantes, ce qui n’est déjà pas si mal.

Nathalie Piernaz«