L’apocalypse faite Soderbergh, c’est-à-dire politique avant tout, et traitée au moyen d’une intrigue chorale aussi millimétrée qu’hypernerveuse. L’humanité toute entière, dont un expert en virologie (Laurence Fishburne), un veuf élégant (Matt Damon) et un bloggeur engagé (Jude Law), est menacée par une pandémie fulgurante qui terrasse ses victimes en une journée. Dans le chaos général, l’OMS identifie un vaccin potentiel que les autorités tentent d’abord de garder secret, malgré les protestations de quelques agitateurs.

Il y a de quoi tergiverser sur les intentions exactes de cette vision un peu paranoïde, entre techno-thriller et SF basique : impossible de nier un côté politique-fiction de luxe, en croisade contre les manipulations des hautes sphères en temps de crise, et vue à travers le prisme furtif de notre ère 2.0 – une tarte à la crème, donc. Mais parallèlement, le cataclysme est ausculté sous un angle plus subtilement anthropologique : non seulement l’Homme redevient un loup pour l’Homme (c’est le postulat de tout scénario apocalyptique), mais les sociétés éclatent d’autant plus facilement que leurs infrastructures se sont fragilisées en se complexifiant. La machine Soderbergh, faite pour embrasser tous les points de vue, fonctionne ici à plein régime mais pour une fois à bon escient : la pluralité des situations et des voix s’avère idéale pour restituer le mouvement sournois d’une propagation virale à l’échelle planétaire.

Certes, l’appareillage choral se paie d’une impression de déjà-vu, tant Soderbergh, en cinéaste tayloriste, se borne à appliquer la formule de Traffic : chaque personnage se réduit à son enjeu, et se retrouve négligemment compressé pour s’insérer dans le grand puzzle géopolitique fustigé. En même temps, cet achalandage industrieux des figures et des perceptions fait la spécificité du film : Soderbergh se pique de raconter le crépuscule du monde sans recourir à aucun catastrophisme visuel, et en se contentant des seules ressources du montage et de la narration polyphonique. Loin de la pyrotechnie des champions en titre de l’entertainment eschatologique comme Boyle ou Emmerich (le film ne comporte quasiment aucune scène d’action à proprement parler, la tension s’étire tout au long du film, mais jamais dans l’unité d’une séquence), il propose donc une représentation apocalyptique inédite, directement inspirée de notre Occident fragilisé, et surtout en accord avec son sujet de prédilection : la communication dans les sociétés contemporaines, le mensonge en réseau, la partie au service d’un tout trompeur.

De même, l’insistance un peu saugrenue avec laquelle est représentée la mort (on meurt beaucoup, dans Contagion, et plutôt salement) peut a priori poser problème, par exemple lorsque Soderbergh juge bon de filmer en gros plan le scalp chirurgical du cadavre de Gwyneth Paltrow. Mais cette frontalité permet aussi de contrebalancer un formatage hollywoodien un peu étouffant : le casting luxuriant est moins utilisé comme argument marketing que comme bétail froidement liquidé par le scénario ; il y a quelque chose de troublant à voir ces gueules-là, symboles de l’Amérique exemplaire, tomber une à une comme des mouches. Si Soderbergh est toujours à deux doigts d’enfoncer des portes ouvertes (à la fin, on soupçonne même le script de n’être qu’un prétexte pour satisfaire sa boulimie du montage parallèle), reconnaissons-lui le mérite d’avoir sorti la fin du monde du champ SF pour l’ancrer dans une réalité contemporaine et effroyablement familière.