Confessions d’un homme dangereux vient de loin : le scénario virtuose de Charlie Kaufman (Dans la peau de John Malkovich) passait de main en main à Hollywood sans jamais trouver preneur jusqu’à ce qu’un certain George Clooney, star de son état, décide d’en faire son premier film. Inventeur et présentateur de toute une série de jeux télévisés, signes avant coureur de la « trash TV » dans les années 60 (The Dating game, ancêtre de notre Tournez manège), Chuck Barris fut aussi, si l’on en croit son autobiographie, tueur professionnel pour la CIA. Vie de paillette, vie secrète, voilà concentré dans un seul corps toute la schizophrénie américaine, entre le show et le off, le spectacle, la parade et une psyché noire où le monde (l’Europe, l’Amérique du sud) est un secret terrain de jeu meurtrier.

On voit bien ce qui a pu fasciner Clooney dans cette histoire invraisemblable et romanesque : ce mélange de créativité prométhéenne (Barris révolutionna la télévision), de rêve américain (un homme parti de rien deviendra une vedette) et de pulsion destructrice (le désir de mort comme seuil terminal de la civilisation). Que Barris ait été réellement agent de la CIA importe finalement peu : la vérité de l’homme (et par analogie, de la nation toute entière) est dans ce fantasme absolu de double vie. Vraie et crue, spectaculaire et ludique, mais aussi fausse et morbide. C’est aussi ce que racontait un autre récent film clivé sur l’Amérique : Arrête-moi si tu peux. Il y a quelque chose de lounge, de easy listening dans Confessions d’un homme dangereux qui vient tout droit de Soderbergh et empêche parfois le film d’atteindre à une véritable dimension épique et cruelle (à la différence du film de Spielberg) mais qui, dans le même temps, donne le sentiment de baigner dans une rêverie cotonneuse et paranoïaque ou la duplicité du personnage (présentateur et tueur) finit par se fondre dans un seul et même maelström : le spectacle.