Déjà diffusé en automne sur Arte, Cold fever mérite vraiment l’ampleur de l’écran cinématographique. Effectivement, le format télé altère la qualité, le cadre, et la grandeur des images de ce film qui a pour décor les impressionnants paysages d’Islande. Le réalisateur, Islandais d’origine, nous prouve qu’il sait filmer son pays en utilisant la capacité du dispositif cinématographique à rendre le beau encore plus saisissant. Ici, le format 35 mm fait en quelque sorte justice à la nature et lui permet d’étaler toute sa beauté le long de l’écran. Par opposition, le début du film, qui se déroule à Tokyo, est filmé en 16 mm pour souligner l’étroitesse et l’encombrement humain de la vie urbaine, et plus justement celle des surfaces citadines japonaises. Par ce cadre, Fridriksson essaie de traduire cette sensation réductrice qui forme un étonnant contraste dès la première image de l’Islande, celle d’une chaîne de montagnes enneigées et majestueuses. On l’aura compris, le réalisateur accorde une très grande place à son pays et prend un certain plaisir à en filmer toutes les facettes : le calme paisible des étendues enneigées sous un ciel de couleur irréelle, mais aussi la rudesse du climat avec le froid et les tempêtes qui surgissent brusquement. Cette mise en image de son pays natal n’est pas gratuite car le décor naturel joue un rôle important dans l’histoire.

Atsushi Hirata, jeune cadre japonais, décide d’annuler ses vacances de golf à Hawaï pour organiser une cérémonie funéraire à la mémoire de ses parents morts en Islande. Il va alors traverser ce pays pour se rendre près d’une rivière, et le film prend la forme d’un road-movie dans lequel le héros va faire des rencontres surprenantes, et surtout découvrir un pays inquiétant et mystérieux. Le paysage dépasse le statut de simple décor et peut être considéré comme le principal protagoniste. C’est lui qui confère au film la magie de son atmosphère, et qui par conséquent influe sur les comportements des personnages. Par le côté épuré et insolite des situations (Atsushi débarque en Islande en costume trois pièces et portable à la main), ainsi que par l’humour décalé (le numéro tordant du couple d’auto-stoppeurs américains joués par Fisher Stevens et la géniale Lili Taylor), le film fait beaucoup penser à l’univers de Jim Jarmusch, et ce nom n’est pas cité par hasard puisque le producteur et scénariste du film n’est autre que Jim Stark, producteur du réalisateur new-yorkais.

Le charme de ce film qui nous envoûte à mesure que nous pénétrons dans les paysages de l’Islande, réside dans la volonté de Fridriksson de montrer son pays en se plaçant du côté de la légende et de la poésie. C’est l’évocation du rocher des elfes ou des fantômes qui accompagnent le héros sur la route. Nous sommes alors transportés dans un univers mythologique et spirituel qui nous fait ressentir les profondes racines du peuple islandais. La belle idée du film est d’établir un pont entre deux pays, le Japon et l’Islande, deux îles volcaniques, fascinées par les mêmes mythes de vieilles batailles, de sorcières et de fantômes. Mieux qu’un documentaire sur les us et coutumes d’Islande, Cold Fever nous fait pénétrer dans le rêve et l’imaginaire d’un pays par une histoire. Et quoi de mieux qu’une histoire pour raconter un pays ?