Clean, c’est l’histoire d’une mère rockeuse et droguée qui, suite à la mort par overdose de son compagnon, cherche à se désintoxiquer pour récupérer son enfant. Belle idée : le dernier film d’Olivier Assayas est l’histoire d’une renaissance. Il pourrait y avoir de la grandeur à filmer ainsi une revenue d’entre les morts, comme l’a fait Quentin Tarantino avec Kill Bill (où il était question aussi, pour une mère, de récupérer son enfant). Mais non. C’est peu dire qu’ici, dans cette idée de filmer une force de la nature, sonder la résistance d’un personnage à son environnement, décrire la tension entre son impérieux désir de renaissance et ce (ou ceux) qui le contre, Assayas choisit la forme la plus psychologisante, la plus aplatie, la plus mimée aussi, à la manière dont il mime systématiquement la fébrilité du monde par l’agitation permanente de sa caméra. Clean est trop propre (sans rire), trop peu aventureux pour émouvoir.

Nettoyer jusqu’à l’extrême tout ce qui pourrait faire saillie, ce qui pourrait s’enfoncer dans la chair de sentiments, pour aboutir à un effet de lissage, voilà ce qui pourrait caractériser le film. Lissage des affects d’abord, dont la part charnelle, instinctive, physique, est systématiquement repoussée dans les limbes par une accumulation de dialogues qui masquent et empêchent tout débordement d’advenir. C’est un fait que chez Assayas, cinéaste asséché plus que sec, on ne pleure jamais ou si peu. Il suffit pour s’en convaincre de voir Maggie Cheung s’effondrer un instant, laissant enfin sortir ce qu’elle n’avait cessé de refouler, et Assayas ne trouver rien d’autre à faire qu’un fondu au noir pour surtout éviter de se confronter à ce savant travail des larmes qui, avec le rire, est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à filmer. Cette peur panique du ratage et des débordements trop faciles, le cinéaste la force et ne la transcende jamais. Au contraire, elle rend le cinéaste à ce point timoré que Clean aboutit finalement à une entreprise de « bon goût » (pleurer en public, c’est à dire devant nous, spectateurs, quelle hérésie !), et pour finir à un académisme de bon aloi.

Clean, c’est à dire expurger les personnages, l’image, le récit de toutes les scories positives, les bizarreries, les choix curieux et indécents qui donnaient un relatif intérêt à Irma Vep et à Demonlover, deux films qui au moins n’avaient pas peur du ridicule. C’est d’ailleurs pour cette raison (mais pas seulement) qu’il est impropre de parler de mélodrame au sujet de Clean. On n’est pas assez fou ici pour le mélodrame, trop responsable, trop bourgeois. On a beau dire qu’il s’agit là d’un film post-rock, ça reste tout de même une entreprise de renoncement. De révolte ici, celle qui a fait l’histoire du rock contre l’ordre établi, il n’est plus question. Le film pourrait en tirer une profonde mélancolie, l’idée qu’aujourd’hui il est juste permis de s’adapter pour survivre (ce que tente de faire Maggie Cheung), ce qui serait un constat assez juste de la barbarie sociétale et économique vers laquelle nous allons, et que Assayas effleure à peine avec le personnage de Jeanne Balibar sans s’y colleter vraiment. Le réalisateur ne déplore rien du monde atroce qu’il dessine, il en a fini avec ses terreurs, il est en quelque sorte guéri. Récupérer son enfant d’accord, mais avec civilité. La civilité, une bien piètre idée de cinéma…