Cherchez Hortense, cherchez Henri Hortense, le seul à pouvoir aider une jeune Serbe sans-papiers, Zorica (Isabelle Carré), qui risque l’expulsion. Belle idée de Bonitzer, de faire un film absurde autour d’un impossible rendez-vous, d’un impossible échange. Ici, donc, ce rendez-vous au cours duquel Damien (Bacri), prof de civilisation chinoise, doit exposer la situation de Zorica à son père, lui même grand ami d’Hortense. Problème, le rendez-vous est toujours repoussé, décalé, et quand il a lieu, le fils et le père finissent par parler d’autre chose. Cette idée, très hollywoodienne, qui consiste à faire avancer la narration à coup de malentendus et de paroles empêchées, est pourtant totalement gangrenée par ce qu’on a coutume de saluer comme le sens des situations de Bonitzer, cette manière de distiller à l’intérieur des scènes une dose de cocasserie paillarde ou d’absurde toujours trop volontariste, et toujours au détriment d’un personnage – de ce serveur-gigolo chinois, grand bouc émissaire filmé comme un extraterrestre, mais également au détriment des femmes, lorsque par exemple Bonitzer s’attarde sur les visages grimaçants d’une serveuse et d’une hôtesse d’accueil.
La scène de l’annonce de la sexualité du père est un bon exemple de l’échec comique de Bonitzer, et de son incapacité à mener à bien ses situations sans les écraser sous une petite pirouette dispensable. Père et fils sont au restaurant, le père commande au serveur cette exquise glace au thé vert, « comment s’appelle-t-elle déjà ? », il répète trois fois la commande, « alors je vais me taper cette sublime glace au thé vert », insistant sur l’ambiguité de la demande à la fois culinaire et sexuelle. Ce que veut se taper le père, c’est le serveur – pendant ce temps, Bacri, qui a une chose très urgente à dire à son père, préfère se renseigner sur son éventuelle homosexualité mais déjà le père doit s’éclipser. La scène est totalement ratée : vulgaire, mal rythmée et totalement saugrenue au regard de l’impatience de Bacri qui réussit enfin à soutirer un rendez-vous à son père. Le reste du film est à l’avenant : la vérité des scènes, comme leur vraisemblance (les empêchements sonnent tous faux), finit toujours sacrifiée sur l’autel du petit effet, du bon mot, de la situation cocasse.
Avec Cherchez Hortense, c’est aussi une curieuse constante qui se dégage dans le cinéma d’auteur français, quand il essaie de mettre les mains dans le cambouis du cinéma engagé tendance ère sarkozyste. C’est quelque chose qui circulait déjà de Low life de Nicolas Klotz, qui filmait l’amour d’une jeune parisienne et d’un sans-papier fan de Hölderlin, à cette impayable réplique surgie au milieu d’Un Eté brûlant de Garrel : « Quelle merde ce Sarko ! ». Trois films, trois réalisateurs français chevronnés qui traitent tous de façon affective de la question des sans-papiers, comme s’ils ne pouvaient l’aborder sans la badigeonner d’affects, la rendre poisseuse. Dans les trois cas, ce n’est pas tant le politique qui travaille les cinéastes, que la complaisance pour leur cri de révolte. C’est par exemple Bonitzer et Klotz qui appréhendent cette question sur fond d’histoire d’amour : le personnage de Bacri persiste à chercher Hortense une fois qu’il comprend que Zorica, cette fille qu’il devait aider, ne fait qu’un avec la jeune femme qu’il draguait gentiment – la solution, c’est bien sûr ce mariage d’amour qui la sauvera. Pareil chez Klotz, où aider et aimer coïncident, fonctionnent en indéfectible binôme. C’était aussi, chez Klotz, ces scènes de cérémonie vaudou, ces mauvais sorts qu’on jette, ce mal qu’on souhaite, ces bûches de naïveté jetées dans le feu du discours politique. Dans les trois films, ce sont également ces scènes ponctuelles de rafles, comme s’il fallait rendre compte littéralement d’une situation, filmer avec les mains moites, parler en tant que citoyen ulcéré plutôt qu’en tant que cinéaste.
Cherchez Hortense progresse sans jamais rien signifier vraiment (sinon que Zorica doit être aidée une fois qu’elle est reconnue et aimée de Damien) malgré les grands sujets abordés, qui ne sont là que la portion de cinéma qu’on pourra prélever sur eux – c’est-à-dire : leur potentiel de petites scènes-anecdotes. Au moins a-t-il le mérite de ne donner d’emblée aucun espoir, quand il commence en essayant de nous faire croire qu’une sans-papier serbe pourrait avoir la tête et l’accent de gros bébé franchouillard d’Isabelle Carré.