Trois gouttes

Avec son affiche « gros pépés et petite pépé », le nouveau Sorrentino n’avait évidemment rien pour rassurer. Finalement, cette chronique des années prostate se révèle salutairement légère par rapport aux précédents ragouts du pompier italien. Youth expédie deux badernes déprimées (Michael Caine en chef d’orchestre à la retraite, Harvey Keitel en cinéaste usé) dans les bains à bulles d’une cure thermale suisse pour gros portefeuilles. Entre deux massages, les compères s’occupent en palabres sur le sens de la vie, les mystères de l’art, et la difficulté passé un certain âge à pisser plus de trois gouttes à la fois. Judicieusement programmé au moment où les festivaliers décalcifiés nourrissent eux-mêmes des rêves de thalasso, le film va de gags réussis (l’apparition monstrueuse de Maradona) en gags ratés (un grotesque concerto pour vaches), et mise tout, à bon droit, sur l’impeccable charisme de vieux pruneau olympien de Michael Caine. Le fond n’en reste pas moins, comme d’habitude, tristement ricanant, prétentieux et antipathique, et Sorrentino ne s’est pas transformé d’un coup en prince du raffinement – sommet d’horreur glauque : une parenthèse onirique censée célébrer la permanence du glamour et qui ressemble à un défilé d’hôtesses sur le podium du salon du tuning.
JM

Une réplique qui tue

Entendue dans Sicario : « On va faire un 4 juillet sous stéroïdes ». La formule résume assez bien le film, qui est du genre musclé – encore qu’elle ne rende pas justice à son impressionnante et jusqu’au-boutiste noirceur. Le film de Denis Villeneuve confirme, après Mad Max et Vice Versa, une sélection de haute volée dans la case de la récré hollywoodienne – ce n’est pas le cas tous les ans. Et de manière générale, mais nous y reviendrons d’ici quelques jours, il semblerait que ce cru 2015 du festival, toutes sélections confondues, soit pas mal du tout – ce n’est pas le cas tous les ans.
JM

Un truc

Tout le monde attendait évidemment le nouveau Jia Zhang-ke, mais peut-être pas ce film-là. Avec Moutains May Depart, JZK tente un truc, comme on dit. Un truc étonnant, parfois assez embarrassant, probablement un peu raté mais très fort ici et là. Le truc consiste à suivre le destin d’une poignée de personnages en trois temps : 1999 / 2014 / 2025. Mais la chronologie de ce canevas attendu est trempée dans le bain d’une double expérimentation. Qui consiste d’abord à faire de ces ellipses des voyages non seulement dans le temps mais aussi entre diverses localisations du récit : le premier segment suit un triangle amoureux (« un problème de géométrie », dit le film) construit autour de Tao, jeune provinciale qui finit par choisir l’un de ses deux prétendants et lui donner un enfant ; le second retrouve Tao, seule désormais, et son fils qu’elle ne voit plus et qui la rejoint pour un enterrement ; le troisième, en Australie, reste avec le fils et le père, avant de faire ressurgir Tao in extremis. La deuxième expérimentation, assez osée, consiste à attribuer à chaque segment un format différent : 1.33, 16/9, et enfin scope. Manière, dit JZK, de figurer le passage du temps. Manière simple en apparence, et même un peu trop, si ce n’est qu’elle produit ses beaux effets à retardement – quand devant la dernière partie reviennent en mémoire, de manière incongrue et néanmoins naturelle, des images en 4/3 ou en 16/9. D’un segment à l’autre, on est un peu balloté entre embarras (dû à l’impression de voir un soap rudimentaire et insistant, surtout dans la première partie) et émotions intenses quand JZK réussit par petites touches à atteindre vraiment son idéal de mélo (un premier baiser furtif, dans un hélicoptère ; le dernier plan, très beau). Un drôle de truc, donc.
JM 

Une psychanalyse en peluche

Sur la Croisette où le vent commence à souffler fort, on entendait dire ça et là que le dernier Pixar était un chef-d’œuvre – voire, pour les plus enthousiastes, un sommet historique de la firme Lasseter. On a donc voulu juger sur pièces, rasséréné par une longue sieste devant le Brillante Mendoza. Disons-le franchement : Vice Versa est un émerveillement sans pareil, une idée de génie exploitée crescendo avec le talent habituel du studio (humour, rythme, construction, tout est impeccable). Cette idée, elle est à la fois très simple et d’une ambition dingue, à la croisée d’Il était une fois la vie, de Monstres et Cie et des œuvres complètes de Freud. Des petites bestioles colorées s’y partagent les commandes de la psyché d’une adolescente (joie, colère, tristesse, etc.), s’affairant jour et nuit, à l’intérieur de sa tête, afin de déclencher les sentiments adéquats en toute situation. Mais cette équipe de neurones en poil de moquettes est mise à rude épreuve le jour où l’adolescente déménage et voit ses repères affectifs complètement chamboulés. L’occasion d’une épopée cérébrale totalement hallucinante où, comme d’habitude chez Pixar, grandir se révèle une tragédie intime, en même temps que la plus incroyable des aventures. Si l’émotion nous submerge au bout de 30 minutes, on aurait tort de négliger pour autant la sidérante profusion figurative orchestrée ensuite par Pete Docter, qui réussit à cuisiner un traité de psychologie cognitive en lui donnant la saveur d’un sucre d’orge. Au point de prendre tardivement conscience que le film traite au fond du plus douloureux des sujets (la dépression enfantine) avec une frontalité qui pousse encore un peu plus loin la puissance thérapeutique du cinéma d’animation. Plus besoin de miniature, ni d’allégorie, ni d’anthropomorphisme : ici, les ordinateurs se démènent littéralement dans nos têtes pour nous rendre plus humains. Voilà, en 2015, où en est le génie de Pixar : pouvoir composer une odyssée émotionnelle à partir d’un simple déménagement, donner à un mélo cérébral à 200 millions de dollars la forme exacte de notre peluche d’enfance.
LB 

Une bande de fifilles

Un an après Bande de filles, avouons-le, on allait voir Mustang un peu à reculons. Le premier film de Deniz Ergüven, passée par la Fémis, talonne une bande de filles turques et bourgeonnantes, petites amazones en lutte contre le patriarcat de leur pays. Mais Ergüven contourne vite la sociologie façon rue Francoeur, en posant les bases d’une authentique comédie burlesque qui ne cessera pas de s’emballer : constamment en mouvement, les jeunes soeurs sont filmées comme un seul bloc, un typhon d’énergie semant malicieusement la discorde au sein du foyer oriental modèle. D’un côté, les hommes y sont moins des tyrans que des spectres un peu maladroits, quasiment absents (manière de ne pas s’enliser dans une diabolisation pontifiante). De l’autre, les femmes adultes tiennent le rôle de collabos hystériques, complices zélées de la domination masculine. Le schéma, bien que volontiers clicheteux, a le mérite de retourner les présupposés habituels : ces filles-là ne rêvent pas de supplanter les hommes, mais au contraire de pouvoir exacerber leur féminité (on joue avec les wonderbras, on compare ses atouts en feuilletant des livres d’éducation sexuelle). D’ailleurs, le mariage arrangé est présenté autant comme un absurde jeu de dupes que comme un jeu de rôles dont l’érotisme n’échappe pas aux plus âgées des filles. Un élan curieux pousse Ergüven à négocier un virage trop brusque vers le mélo, au risque de muer en tire-larmes ici et là – alors que la satire amusée du début charriait bien assez de puissance émotionnelle. Peu importe, au fond, parce que malgré ce revirement, Mustang persiste à accompagner avec douceur les héroïnes dans leur quête : simplement, devenir des femmes (et pas des champions de foot américain).
YS

Une porte close

On souhaitait prendre des nouvelles de Sharunas Bartas en allant voir son film, Peace to us in our dreams. Savoir s’il avait débloqué la serrure de son cinéma. Comme il s’est contenté de marmonner derrière la porte,  on est reparti après une petite sieste sur le palier.
GO

Chronic’art recrute (7)

Un nouveau venu sur le podium: aujourd’hui c’est Libé qui remporte la manche. Bravo Julien.

Les résultats ici:
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