Bonjour. Rapidement, et avant d’aller prendre des nouvelles de Jarmouche, quelques notes sur quelques films.

 

La Grande belleza, Paolo Sorrentino (photo). Je ne ferai pas beaucoup plus long qu’hier. Mon goût disons très limité pour les précédents films de l’idole de Thierry Frémaux m’avait incité à faire l’impasse. J’ai finalement rattrapé La Grande belleza pour deux raisons, la première étant qu’on m’avait garanti une retenue inédite dans le style du pompier italien ; l’autre que le film, ayant plu, pourrait peut-être se hisser jusqu’au podium de dimanche. Rien de très neuf pourtant dans ce nouvel opus annoncé comme une méditation fellinienne sur le destin de la culture italienne. Alors, oui, Paolo a trouvé la pédale de frein, mais le film au final n’en paraît que plus prétentieux, et pompeux, terriblement pompeux. Sur-écrit, affreusement démonstratif (pas un plan qui ne vende lourdement le thème du film), il a beau jeu de brocarder la vulgarité où se complait la bourgeoisie italienne d’aujourd’hui, dont il se voudrait l’antidote (au moins le commentaire moraliste) et dont il n’est, au fond, qu’un reflet parmi d’autres. Quant à Toni Servillo, je crois que peu d’acteurs aujourd’hui me sont aussi pénibles – même sans les prothèses d’Il divo, j’ai toujours l’impression d’avoir à faire avec lui à une marionnette des Guignols de l’info.

 

Les Rencontres d’après minuit, Yann Gonzalez (Semaine de la critique).Yann qui est doublement connu de nos services, d’abord pour avoir écrit ici-même sur le cinéma il y a quelques années, ensuite pour avoir participé, le mois dernier, à la table ronde dont je vous fais la réclame depuis une semaine (Chro n°1, en kiosque, 5,90€ seulement !). Ce long métrage, son premier, est l’aboutissement logique du geste pour le moins singulier qui portait jusque-là ses courts, tous très beaux. S’y révèle, de façon à la fois limpide et éclatante, la greffe qui est au cœur de ce projet-là. D’un côté, raideur et distance travaillées par un imaginaire camp, et une forte inclination pour les 80’s, traversant costumes, décors minimalistes, et dialogues déclamés par des voix blanches et blasées : ici, les convives d’une partouze (la Chienne, l’Etalon, l’Adolescent…) se présentent les uns après les autres dans le décor nu d’un appartement rétro-futuriste. De l’autre, un élan onirique et romantique (sur un axe Cocteau/Anger/Garrel), auquel les films se livrent sans retenue et qu’encouragent les nappes synthétiques d’un autre Gonzalez connu aux Amériques sous le nom de M83 : ici, les rêves racontés par les convives et qui chaque fois font migrer le film sur le terrain de petites installations de carton-pâte, extrêmement inventives, parfois magnifiques. Le greffe est osée, et le film impressionne beaucoup par sa capacité à le rendre tout ce qu’il y a de plus naturel, passant d’un bord (tout le passage au début, très drôle, sur la bite gigantesque du personnage joué par Cantona) à l’autre (la fin, propulsée par une émotion très puissante quand le film et les personnages viennent se faner au contact du petit jour). Seule limite à ce beau film solitaire qui, par nature, n’en accepte aucune : le texte, qui n’est pas toujours à la hauteur. Pour le reste, il est d’une rare élégance et invite à se réconcilier, pour un temps, avec la double passion du cinéma français pour la jeunesse et la culture pop.

 

Agit Pop, Nicolas Pariser (Semaine de la critique, court métrage).Auteur déjà de deux courts métrages ambitieux et très remarqués (Le jour où Ségolène a gagné et La république, prix Jean Vigo 2010), Nicolas Pariser était le quatrième convive de la table ronde de Chro n°1,en kiosques, 5,90€ seulement. Le projet qu’il poursuit est pour le moins différent de celui de Yann Gonzalez. Après La République qui auscultait la machine démocratique nationale au moyen d’un entrelacs complexe de conspirations, Agit pop fait la satire légère d’une presse culturelle agonisante en mettant en scène l’ultime bouclage d’un magazine trendy, dont le rédacteur en chef est joué par Benoit Forgeard. Très peuplé, comme le précédent, le film circule avec une impressionnante virtuosité entre ses personnages, répartis aux quatre coins d’un décor-monde (la rédaction du journal) dont le principe giratoire (le cœur de la rédaction est cerné par un double escalier qui lui-même ouvre sur d’autres pièces, d’autres scènes possibles, exactement comme dans The ladies’ man) est le cœur de la mise en scène. C’est ce qui frappe le plus chez Pariser : le fait qu’il se risque, en France, sur un terrain plutôt miné (le commentaire critique de l’époque et des organisations, domaine dans lequel on est généralement à la peine) en mettant à profit des leçons qui viennent de loin et d’ailleurs – du Hollywood classique, clairement, ici sur son versant burlesque. Le film, quoiqu’il accuse quelques baisses de régime ici et là, relève en cela du tour de force, et sa réussite a quelque chose de frustrant : en 31 minutes drôles et enlevées,  Pariser balise les possibles de son cadre opératoire, qu’il maîtrise tous avec une nette aisance, et nous abandonne aux portes d’un possible long métrage – on sent bien ici que le format court a avant tout quelque chose d’un laboratoire. Il faudra donc attendre son premier véritable long, qui est en préparation et s’annonce comme un récit d’espionnage, pour voir se déployer toutes ces promesses.

 

Michael Kohlhass, Arnaud Des Pallières. J’avais pour le film une très grande curiosité, beaucoup d’espoir aussi. Espoir de voir se réaliser ici, dans cette adaptation inattendue de Kleist, le potentiel de Des Pallières, auteur jusqu’ici de documentaires remarquables (Disneyland, mon vieux pays natal ; Drancy avenir…), d’un long inégal et puissant (Adieu), et d’un autre franchement raté (Parc) dont l’échec avait menacé de le faire disparaître des radars. Difficile, en même temps, de désigner précisément ce potentiel. Disons qu’il y a chez Des Pallières, depuis son incursion dans la fiction, la tentative d’une greffe audacieuse entre deux faces a priori difficile à réconcilier, la première prospérant sur la distanciation d’une cérébralité glacée, la seconde sur un rapport plus électrique aux images, un jeu de forces à vocation immersive. Michael Kohlhasss s’annonçait, à en croire Des Pallières ou son producteur Serge Lalou, dans un registre plus « classique », prompt à faire fructifier la puissance brute, archaïque, de son cinéma. Le film, au final, reste pourtant tiraillé entre ces deux pôles, qui travaillent résolument l’un contre l’autre. On a l’impression que le grand récit barbare qui se dessine parfois (l’assaut de l’armée de paysans menée par Kohlhass, splendide visuellement, impressionnante par son montage diffracté et tranchant), Des Pallières se refuse constamment à lui laisser la voie libre, l’entravant toujours et comme par réflexe par une distance toute janséniste et finalement parfaitement contre-productive. Entre ces deux pôles, le film flotte sans trouver de centre, et finit par se perdre vraiment. Reste un objet formellement brillant et assez inventif, mais irrémédiablement plombé – du même plomb qui lestait déjà les précédentes fictions de Des Pallières – un film malade d’un appétit de déconstruction qui ne s’apparente plus ici qu’à une sorte de manie incontrôlable et un peu suicidaire. Un film, vraiment, difficile à cerner, oscillant constamment entre le meilleur (une sorte de 13e guerrier arty) et le pire (une version tout juste plus regardable de l’atterrant Jeanne captive de Philippe Ramos).

 

Sinon, je ne sais pas si ça vous intéresse, mais j’ai vu ce matin le James Gray,The immigrant. J’y reviens en détail demain, je le laisse reposer jusque-là. Pour patienter, une simple impression, une formule (pauvre et bête, comme toute formule) : c’est un très, très beau film raté.