Pour une fois que la traduction française d’un titre se contente d’être littérale, on lui aurait préféré un plus suggestif « Stade terminal », qui aurait eu le mérite de signaler d’emblée l’état de santé de la comédie américaine actuelle. De fait, c’est deux fois la fin. Fin du monde, d’abord, presque anachronique tant elle fut lancinante en 2012, servant ici de toile de fond et de prétexte à un quasi huis clos entre les acteurs qui incarnèrent la comédie américaine des années 2000, généralement labellisée « Apatow ». Fin d’une certaine veine comique, ensuite, il faut le parier, presque l’espérer, car c’est bien au tarissement d’une source qu’on assiste depuis déjà plusieurs films écrits par Seth Rogen et Evan Goldberg – celle qui avait jailli, impétueuse, dans ce qui reste et restera sans doute le chef d’oeuvre du gang, Superbad (2007). Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’en invitant leurs amis d’alors (qui conservent pour leur rôle nom et carrière), le duo ne s’organise ainsi, conscient d’être venu au bout d’une mécanique scénaristique et thématique, des funérailles en grande pompe.

 

Deux veines tressaient Superbad, deux rapports à la loi et à la morale. Celle, historique, de la comédie, qui avance par transgression. C’était Jonah Hill et Michael Cera lancés dans la quête insensée d’un alcool interdit qui, supposaient-ils, leur permettrait de perdre leur virginité. L’autre, caractéristique des films Rogen-Goldberg et suivie par Christopher Mintz-Plasse (le fameux McLovin), fonctionnait par rapport à la transgression comme une bifurcation plus confortable. En virée avec deux flics, il apprenait à goûter au plaisir de la tyrannie, qui impose son pouvoir depuis le cadre formel de la loi sans s’y soumettre elle-même. Rien de ce qu’ils pouvaient faire ne pouvaient être retenu contre eux. C’est cette deuxième voie qui aura été la plus systématiquement exploitée, par exemple dans Observe and report ou The Green Hornet. Et c’est sans doute avec elle qu’il s’agit d’en finir radicalement, en un geste étonnamment puritain. Le moteur de la tyrannie a toujours été dans leurs films le refoulement des pulsions homosexuelles (le fantasme de Rogen et de son collègue, dans Superbad, était bien, condensation saisissante, de tomber sur une scène de crime entièrement maculée de sperme). La possibilité de rapports amoureux ou sexuels entre hommes se trouvait moins sublimée dans l’amitié que niée par l’exercice du pouvoir. Lorsque l’apocalypse se déchaîne, cependant, il convient avant tout de devenir un saint.  

 

Invités à une fête chez James Franco, deux vieux amis aux liens un peu distendus se retrouvent enfermés avec quelques collègues acteurs chez leur hôte, après l’engloutissement de la plupart des guest-stars dans un cratère. Univers soudain exclusivement masculin, qui ne sera guère troublé, le temps d’une séquence aussi improbable que téléphoné, par le retour d’Emma Watson. Il faut alors voir la troupe, derrière la porte de la chambre où elle s’est assoupie, discutant des risques que l’un d’eux ne la viole, alors même que Rogen se demandait au début du film « si le trou du cul de Michael Cera est aussi mignon qu'[il] l’imagine ». Rarement aussi explicite et omniprésent dans les dialogues (le seul endroit où éclate encore un réel talent comique), la question de la sexualité entre hommes se trouve en fait circonscrite à un personnage, celui de Danny McBride, présenté comme un tyran absolu traînant au final son esclave sexuel au bout d’une laisse. Ce déploiement figuratif et thématique de l’apocalypse, avec ses tables de la Loi, son trou mortifère, son diable à l’érection vigoureuse jusqu’à sa castration par Dieu, ressemble à s’y méprendre à un délire psychotique visant à séparer définitivement l’affectif du sexuel, et à pouvoir enfin chanter la rengaine du « I love you, man » sans sous-entendu, sans autre horizon terrestre que celui d’une amitié pure. Dans une séquence finale assez grotesque, tous ces braves gens se retrouvent d’ailleurs au paradis – à danser sur la musique d’un boy’s band. En attendant le jour où ils pourront faire enfin une comédie adulte du fait que parfois, les boys bandent, en effet, l’un pour l’autre. Le meilleur conseil, de ce point de vue, leur vient du génial Louis C.K. : « Stop being a faggot and suck his dick ».