Bloody bird, le premier film de Michele Soavi en 1987, avait fait une sacrée impression à l’époque (Prix de la Peur du Festival d’Avoriaz). En France du moins, car en Italie, le giallo voit déjà sa dernière heure arrivée -il faut vraiment s’appeler Dario Argento pour ne pas l’avoir compris. Mais Soavi est jeune (né en 1957), il y croit encore. Avant, il a été l’homme à tout faire du bis italien, dame pipi, monsieur café, il se rend utile, il se rend indispensable, c’est un brave petit gars au physique un peu passe-partout. Bientôt on lui demandera s’il veut tenir un petit rôle dans Ténèbres, puis Phenomena, Frayeurs, L’Eventreur de New York, et sa carrière est lancée. Pas contrariant, il n’est pas très bon acteur non plus, mais il prend tout ce qui se présente devant et derrière la camera. Maître de cérémonie satanique (Demons) ou homo refoulé psychopathe pour Lamberto Bava (La Maison de la terreur), il monte vite en grade et se voit bientôt propulsé assistant-réalisateur d’Argento et de Joe D’Amato, celui-la même qui viendra lui donner sa chance pour tourner son premier film sur un script de Luigi Montefiori, aka George Eastman, sale trogne bien connue des western spaghetti, surtout célèbre pour son rôle du type qui mange ses tripes à la fin d’Anthropophagous. La grande classe.

Bloody bird, aka Deliria (le titre original), Aquarius, ou Stage fright aux Etats-Unis, s’avère finalement plus slasher que giallo. Une troupe d’acteurs répète une comédie musicale ayant pour vedette un tueur de prostitués encapuchonné d’une tête de hibou. Sauf qu’un vrai psychopathe échappé de l’asile s’invite bientôt aux répétitions pour endosser la défroque du serial killer. Le body count sanglant peut commencer. Armes blanches diverses et variées (seringue, pioche, hache, perceuse, tronçonneuse, etc.), bimbos vulgaires ensanglantées, mise en scène Grand Guignol (bras, tête, tripes), Bloody bird lorgne plus du coté de Jason Voorhees et de Michael Myers que d’Argento. Les conditions de tournage n’y sont pas étrangères : budget réduit, récit qui se suffit à lui-même, huis clos, unité de lieu et de temps, tournage en studio, la dernière demi heure quasi muette qui frôle l’abstraction. Du reste, la qualité de l’interprétation n’est vraiment pas le point fort du film, mais la poésie macabre du tueur à la tête de hiboux tout droit sorti d’un collage de Max Ernst vaut largement le coup d’oeil. Soavi ne révolutionne rien, il fait ses gammes. Bloody bird est un pur exercice de style, un fumetti neri per adulti (Kriminal, Satanik, Diabolik !) sur grand écran. Le réalisateur s’en souviendra pour Dellamore dellamorte (1994), son adaptation grandiose du Dylan dog de Tiziano Sclavi, l’un des meilleurs films italiens des années 90, selon Scorsese.

A la surprise générale, Soavi transcende une intrigue prétexte en épure du genre : une simple scène de théâtre devient le décor mental du tueur. La manière dont Bloddy bird synthétise le giallo et l’envoie droit dans le mur frôle l’insolence. L’élève se confronte au maître sur son propre terrain (Argento réalise Terreur à l’opéra la même année). Surtout en s’inspirant directement du Fantôme de l’opéra, version Paradise de De Palma (vraiment mortelles : la bande-son de Simon Boswell et les coupes de cheveux eighties), Soavi coupe l’herbe sous le pied de son mentor qui devra encore patienter dix ans avant d’oser se confronter au classique de Gaston Leroux (avec l’énorme plantage que l’on sait : Julian Sand qui s’enfile des rats dans le slip, on en rigole encore !). Des mauvaises langues murmurent d’ailleurs que c’est pour maîtriser cet encombrant disciple que le jaloux Argento se fit producteur des deux films suivants, The Church (1988) et La Secte (1990) -manière efficace de se les approprier.