Après Luc Besson et son Malavita, laborieux exercice de révérence envers Bob De Niro et l’œuvre de Martin Scorsese sur son versant « You fuck my wife », c’est au tour de Guillaume Canet de sortir son film de fan :  Blood Ties, remake des Liens du sang de Jacques Maillot, dans lequel il jouait le rôle-titre aux côtés de François Cluzet. Pour vivre son rêve américain, Canet décide de reprendre le récit autobiographique à l’origine du film de Maillot, soit les souvenirs des deux frères Papet, flic et voyou dans le Lyon des années 1970, pour le transposer dans le New-York de la même époque, sublimé par Lumet, Friedkin et les autres. A voir le programme rétro et appliqué qui en résulte, on se demande vraiment ce qui a justifié  le déplacement dans la grosse Pomme, sinon l’envie un peu limitée de produire un avatar vintage du cinéma US des années 1970.

 

Première faille : le scénario. Co-écrit par Canet et James Gray, belle et grosse caution, il compile sans surprise à peu près toutes les situations-types du polar américain des années 1970, renvoyant souvent à des références écrasantes. La sortie de prison du grand frère (Clive Owen) qui doit se réinsérer avec l’aide de son cadet (Billy Crudup), policier de son état, rappelle aussi bien l’ouverture de The Yards que celle de La nuit nous appartient. Puis c’est le père malade et les retrouvailles en famille avec la sœur qui cuisine comme chez Scorsese ou Coppola. Puis la rechute du grand frère, le braquage qui finit en fusillade, la filature en voiture dans les rues de New-York, la course poursuite finale qui se joue, comme par hasard, à la gare de Grand Central. Plus le film avance, plus on pressent que Blood Ties n’a d’autre programme que cette mise bout à bout de moments de cinéma empruntés à d’autres films, en un exercice de style trop soucieux de ses effets pour jamais décoller.

 

La mise en scène de Canet est comme frappée de paralysie, souffrant d’une sobriété maladive qui enferme le film dès ses premières séquences dans sa posture d’hommage-rétro. On peut d’ailleurs la comparer à celle de Besson dans Malavita, qui rate tous ses effets pour des raisons inverses : incapable de prendre au sérieux sa matière principale – une famille de truands italo-américains contraint de se cacher dans un village de Normandie –, Besson travaille tous ses personnages comme des clichés, empâchant définitivement toute empathie pour eux. Le plan qui cadre de très près le visage de De Niro en train de regarder les Affranchis de Scorsese ne suscite aucune émotion, relevant d’un kitsch tellement grossier qu’il annihile aussi bien l’intérêt pour le référent Scorsese que pour le personnage qui y renvoie. Chez Canet, l’indifférence naît du contraire : à l’hystérie de Besson répond ici une rétention permanente des émotions, comme si Canet cherchait avant tout à garder le contrôle sur son ouvrage, au risque de ne rien provoquer d’autre que l’ennui ou l’effet-miroir. Pas de climax réel dans son film, ce qui est un comble quand on se souvient que la première caractéristique du cinéma qui l’inspire est la crise permanente, le borderline constant.

L’incapacité de Blood Ties à construire un monde qui ne serait pas celui d’un copié-collé, se lit en priorité dans l’usage calamiteux qu’il fait de sa bande son, parsemée de sublimes chansons américaines. MC Canet, bien sûr, doit sa playlist aux films de Scorsese et Tarantino. Quoi de plus beau que l’ouverture de Mean Streets sur Be My Baby des Ronettes ? Mais le juke-box du cinéaste est celui d’un fan gâté qui jette au hasard, ou pire, pour illustrer trop joliment ses scènes clichés, des tubes (les Rubettes, les Crystals) qui ne deviennent que des artifices d’écriture. A quelques jours de la mort de Lou Reed, on ne peut que se lamenter de  l’usage franchement dérisoire d’Heroïn pour illustrer la déchéance d’un personnage de junkie joué par Marion Cotillard.