Depuis Sleepy Hollow et surtout La Planète des singes, le cinéma de Tim Burton semblait avoir lâché pas mal de leste entre ses origines un peu autistes et son horizon Hollywood mainstream. Vient le temps d’une véritable confrontation avec ce Big fish, vrai croisement entre la sève kitsch et gothique de l’oeuvre et une forme résolument classique : celle du mélodrame nostalgique et familial à Oscars. William Bloom vient au chevet de son père, un conteur transformant ses souvenirs en récits fabuleux, dans le but de comprendre cet inconnu avec qui il ne s’est jamais entendu. Le prétexte est gros comme une maison : retrouver l’origine de la féerie banlieusarde qui est l’épicentre du cinéma de Burton.

Démêler le vrai du faux, ici, équivaut évidemment à entraîner le spectateur dans un déluge onirique. A l’ordinaire description de la petite réunion familiale (pour un peu, les Invasions barbares ou presque), le film préfère le détraquement immédiat par les puissances de la fiction. Premier souvenir du père, premier sketch (un village où cohabitent sorcière bienveillante, humains et géant chaussant du 62) ; puis un autre (un petit monde enchanté peuplé de bonnes fées et princesses) ; puis un autre, etc. La structure gigogne du récit, épousant l’imaginaire de Bloom senior (Albert Finney, phénoménal), en revient pourtant continuellement à un certain réalisme : histoire d’amour comme mille autres, clichés du mélodrame social (Bloom face au gros dur neuneu du village), élans partagés entre académisme de papier crépon et baroque pur. Ce que cherche Burton n’est pas tant à opposer vrai et faux, imaginaire et trivialité, mais à les entremêler en une sorte de guirlande brinquebalante et luminescente.

C’est à cela que le film doit sa véritable réussite, une folie de l’égalité et de l’harmonie où tout s’équivaut, du plus petit personnage secondaire aux créatures extraordinaires qui parsèment le métrage. La magistrale utilisation des décors de l’Alabama, où les cours d’eau sortent de leur lit à la manière des récits du père, donne au film une teinte aqueuse, mouvante, fluide et bondissante. Big fish, à mi-chemin de la clownerie fellinienne et des mélancolies enchantées de Kaurismäki, est un aboutissement de l’oeuvre de Burton : son film le plus européen et le plus hollywoodien, une synthèse parfaite de la singularité finalement très « commerciale » de l’auteur. Film de l’équilibre définitif, en somme, où le toc et la grâce, le prodige et la simplicité se fondent en une sarabande féerique et multicolore.