Le cinéma d’Alex de la Iglesia est toujours au bord de la saturation : une seconde en plus, un personnage en trop et c’est tout son petit vivarium habituel qui s’en trouve bouleversé. Mais la seule opiniâtreté du plus geek des cinéastes espagnols peut suffire à rendre plus digeste son art du foutraque. Balada triste part pourtant de loin – de haut, tant le film, ambitieux jusqu’au grotesque, couvre un spectre immense. Le générique de début, diaporama serti d’une musique barbare compilant les images choc du franquisme, en dit long sur le sérieux métaphorique de l’ensemble. Brillante par son sens du spectaculaire, cette rasade laisse néanmoins craindre le pire : derrière la farce et les clowneries promises, un gros film pataud et très sérieux va passer son temps à nous faire coucou.

Et c’est un peu ce qui se passe, il faut bien le dire. Chaque coude du scénario est criblé de symboles, qui confinent à la rando fléchée, malgré le cisaillement plus ou moins volontaire du récit. Le fils d’un martyr républicain (profession : clown) grandit dans le culte de la vengeance. Devenu grand, il est engagé comme clown triste dans un cirque minable managé par un Auguste brutal et terrorisant. Ils se disputent une bombasse fatale qui passe de l’un à l’autre, au gré de ses pulsions sado maso. Le problème du film réside justement dans ce chassé-croisé en fausse roue libre, où la mise en scène court toujours après les artifices de scénario. A ce petit jeu explosif du choc des contraires (clown blanc contre Auguste, républicains contre franquistes, scènes contre coulisses), Iglesia est un peu l’anti Tsui Hark: quand le maître de Hong-Kong produit du mouvement, l’Espagnol accumule les collusions. D’où un film haché, bosselé, embouti de partout.

Mais cet élan destructeur n’a sur le fond, rien de programmatique. Et bien qu’il entrave la fluidité du film, ce plaisir de la désagrégation et de la salissure produit une énergie de sale gosse plutôt payante. De Balada triste, on ne retient d’ailleurs que ces ardeurs terroristes infantiles minées tout au long du récit et dirigées aussi bien contre le franquisme que contre les procédés du film lui-même, la violence agissant tel un anti-corps qui vient court-circuiter les pulsions mégalomanes du cinéaste, comme ses trucs un peu lénifiants – la petite bande de ploucs, sa goguenardise à la Joe Dante s’avèrent plutôt malmenées ici. Les meilleurs moments du film sont d’ailleurs ceux où l’hystérie est délivrée sans retenue, les deux pieds en avant. Sommet : lorsque le clown triste se transforme en vraie créature de l’enfer, plongeant son visage dans la soude caustique, brûlant ses joues au fer à repasser. Derrière la myriade de clins d’oeil et la mutation rigolarde, il n’est pas interdit de voir là un soupçon de remise en cause.